Littérature étrangère

Tao Lin 

Taipei

GT

✒ Gwendoline Touchard

(Bibliothèque/Médiathèque Trapèze, Boulogne-Billancourt)

Considéré par Bret Easton Ellis comme « le styliste le plus intéressant de sa génération », Tao Lin signe avec Taipei le portrait de jeunes ultra connectés qui peinent à trouver un sens à la vie et sombrent dans les paradis artificiels version 2.0.

Paul, jeune écrivain de 26 ans, fait des tournées promotionnelles, essaye de se trouver une petite amie, se marie, voit ses potes, dort, regarde son MacBook, réalise des films expérimentaux ; mais surtout, Paul se drogue. Et la défonce prend des allures de placards à pharmacie aux noms poétiques : klonopin, MDMA, adderall, etc. Chacun saura après avoir lu ce texte comment réussir son overdose parfaite avec ce qu’il a sous la main. Ce qui transpire surtout dans ce roman, c’est la détresse, la solitude immense d’une génération sur-connectée, l’œil rivé à son iPhone, son MacBook à portée de main, en permanence branchée sur les réseaux sociaux, mais sans véritables contacts humains. Jamais. D’où cette sensation que chaque personnage parle dans le vide, que chacun est légèrement à côté de la plaque. Les discussions restent en suspens, les phrases inachevées, les questions sans réponse… preuve d’un ennui abyssal et de l’indifférence que les personnages éprouvent vis à vis de leurs « amis », les uns et les autres n’ayant comme points communs que de manger sainement et de se défoncer salement. En dehors de sa dimension sociologique et culturelle, le roman de Tao Lin stupéfie par son écriture. Taipei recourt à un style inédit, à la fois clinique, ironique et désabusé. L’ennui qui sature la vie des personnages et leur quête éperdue de sens, a quelque chose de profondément poignant. Paul et ses semblables archivent numériquement chacun des moments de leur morne existence en une pathétique tentative de lui donner une épaisseur. Mais Paul n’est qu’un « genre de robot qui s’ennuie ». Et pour se sentir vivant, rien de tel que de plonger dans des relents adolescents et de frôler la mort pour ensuite « être reconnaissant d’être en vie ». Un texte puissant, par une nouvelle voix prometteuse des lettres américaines.

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