Bande dessinée

Pierre Maurel

Tabula rasa

GT

✒ Gwendoline Touchard

(Bibliothèque/Médiathèque Trapèze, Boulogne-Billancourt)

Suite à un immense scandale alimentaire ayant entraîné la mutation de plus de la moitié de la population, les rescapés tentent de survivre dans un univers dévasté. Mishka et Hazel, deux jeunes épargnés, tentent de trouver La Lyre, zone mythique censée abriter l’une des dernières communautés épargnées par le cataclysme.

Tabula rasa… le titre de l’album renvoie à ce concept philosophique selon lequel l’esprit humain naît vierge et se forge une morale et une personnalité au gré des expériences de la vie. Mais la table rase, c’est aussi une manière de faire peau neuve, recommencer, balayer le passé, le monde ancien, afin de construire autre chose ; ce qu’illustre aussi cette bande dessinée. Décrivant un univers post-apocalyptique, l’histoire de Mishka et Hazel suggère l’émergence d’un monde radicalement nouveau. Prenant pour point de départ les péripéties de deux adolescents qui cherchent à rejoindre le dernier îlot de civilisation humaine, Pierre Maurel parsème son intrigue de réflexions politiques et sociales, transformant une histoire a priori linéaire et banale en une critique sans concession d’une société qui aurait perdu à peu près tous ses repères. Par petites touches subtiles, le lecteur aborde un monde déchiré par une guerre civile où les hommes, victimes des dérives ultra-libérales de l’industrie agroalimentaire, mènent une lutte sans merci contre les puissants, c’est-à-dire, ici, la minorité « saine », celle qui a les moyens de se payer une nourriture non modifiée par les délires scientistes des docteurs Folamour du capitalisme alimentaire. Les parallèles avec la situation actuelle sont évidemment nombreux. On pense au maître américain des organismes génétiquement modifiés, Monsanto, aux dérives génétiques… autant de menaces pesant sur l’avenir du monde et de la civilisation. Ces références transparentes aux problèmes qu’affronte notre début de XXIe siècle rendent la lecture passionnante. L’auteur fustige d’abord le manichéisme qui semble devoir parasiter tout débat, en mettant en scène un monde où les mutants considèrent tous les humains non contaminés comme leurs ennemis, les chassant sans pitié. Ils apparaissent comme les victimes d’une forme de bien-pensance monstrueuse, meurtrière, où la réflexion et la distance critique sont bannies. Puis, quand des mutants se lancent dans le commerce des téléphones portables et tablettes, c’est le consumérisme effréné, destructeur des valeurs humanistes les plus fondamentales, que pointe le récit. Car là encore, l’auteur pose le doigt sur un trait caractéristique de notre temps, où l’achat compulsif est devenu une sorte de mode de vie. Enfin, la confrontation de nos deux héros à un monde où l’on se méfie des autres n’est pas sans rappeler la grande théorie de la peur de l’autre, l’étranger, qui mène au repli sur soi et à la guerre. Puis survient la découverte de la Lyre, qui amène un tournant très rafraîchissant à l’histoire.

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