Polar

Warren Ellis

Gun machine

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photo libraire

Chronique de Gwendoline Touchard

Bibliothèque/Médiathèque Trapèze (Boulogne-Billancourt)

Warren Ellis est de retour ! Après Artères souterraines publié Au Diable Vauvert (désormais disponible au Livre de Poche), voici Gun Machine publié aux éditions du Masque, un polar bien calibré et foutraque à l’intrigue diablement efficace et à l’humour vitriolé. Un vrai régal pour ceux qui cherchent un polar urbain original et déchaîné, dangereux comme un sachet de confiseries.

Surtout connu dans le milieu du comics, plutôt estampillé SF (dont la BD Transmetropolitan - Urban Comics -, véritable chef-d’œuvre loufoque au mauvais goût assumé), Warren Ellis laisse tomber le monde des capes et des collants et se la joue roman noir. Et autant dire que notre génial Britannique y arrive carrément bien. Tout commence par une descente banale. John Tallow, vieux briscard désabusé, célibataire mais toujours accompagné d’une bonne bouteille, se rend avec Jim Rosato, son coéquipier et inséparable ami, dans un immeuble où un fou furieux armé s’insurge contre son expulsion. L’altercation tourne court, Rosato se fait descendre et Tallow dézingue le type hystérique nu comme un ver. Dans la foulée, Tallow a fait un trou dans le mur d’un appartement. Lorsque les techniciens déboulent, ils se retrouvent nez à nez avec une centaine d’armes positionnées de telle façon que l’on se croirait devant une tentative de création artistique. Tallow doit enquêter le plus vite possible sur cette mare d’ennuis, que le NYPD veut enterrer en bonne et due forme. Il sera aidé par deux bras cassés, Bat (un geek) et Scarly (punkette lesbienne). Une course contre la montre est lancée et ils découvrent un tueur schizophrène à leurs trousses, autant dire que ça ne va pas être de tout repos. Autant dire qu’un polar assez barré est prêt à nous emporter. Et il le fait ! Warren Ellis utilise ce qu’il connaît le mieux, à savoir le comics, dont il insuffle le souffle particulier à son intrigue. On ne peut rester insensible au sens du rythme et du découpage, sauf qu’à l’instar de l’art séquentiel, la possibilité d’une profondeur plus aboutie des personnages est ici permise. Sa structure constituée en micro chapitres permet de rythmer le texte et d’avoir un rendu proche d’une séquence cinéma, sachant qu’Ellis joue beaucoup sur le genre et la parodie. Cela n’en rend la lecture que plus délicieuse. En jouant sur les clichés et fantasmes propres à la culture américaine (serial killer schizophrène adepte de sports de combat et de culture exotique, geek sauveur de planète et punk à chien lesbienne, etc.), armé de son ironie féroce et de sa provocation empruntée à Hunter S. Thompson, notre Britannique accouche d’un texte où critique sociale et loufoquerie s’intègrent parfaitement à une intrigue bien menée. Mais le talent d’Ellis réside sans conteste dans son art du dialogue. Composée de vannes bien senties et d’insultes ravageuses, sa repartie est savoureuse… mais n’est pas conseillée à ceux qui se sentent gênés par une vulgarité outrancière et assumée. Gun Machine n’est donc pas à mettre entre toutes les mains et n’est pas d’une qualité littéraire exemplaire. Mais ce n’est pas ce qu’il faut garder du texte, car ce n’est pas là l’intention de l’auteur. On joue sans cesse avec le genre sans jamais pour autant sombrer dans le cliché, parce que Warren Ellis a toujours ce petit pas de côté qui fait que sa machine fonctionne. Et quelle machine !