Littérature étrangère

Fatima Bhutto

Les Lunes de Mir Ali

illustration
photo libraire

Chronique de Coline Meurot

Librairie L'Interligne (Lille)

Trois frères, deux femmes, autant de parcours pour ces personnages issus de la petite ville rebelle de Mir Ali située dans le nord-ouest du Pakistan, à la frontière afghane. En une matinée, le premier jour de la fête de l’Aïd, leurs choix vont tout faire basculer et leurs chemins… se rejoindre ou se séparer.

Mir Ali est une bourgade du nord du Pakistan nichée au centre de la région des zones tribales. Trois frères y vivent sous le toit familial. Nous les suivrons chacun leur tour, heure par heure, en cette première journée de l’Aïd. La ville est en effervescence. Tout le monde est sur le qui-vive pour les préparatifs des cérémonies de la fin du Ramadan. Les festivités s’organisent et l’armée se déploie afin de garantir la sécurité du gouverneur. En effet, la région est toujours sous tension. Des indépendantistes s’y opposent au gouvernement central depuis des décennies – en fait, depuis la création de l’État pakistanais en 1947. Aux yeux du reste de la nation, les habitants de ces zones sont considérés comme des traîtres et des terroristes. Ce matin-là, les risques d’attaque sont grands. Les frères décident donc d’aller prier dans des mosquées différentes afin de ne pas laisser leur mère seule s’il leur arrivait quelque chose. L’aîné des frères, Aman Erum, se rend en taxi vers la mosquée et se remémore son départ pour les États-Unis quelques années plus tôt. Il a toujours voulu fuir Mir Ali. La liberté passe par l’exil, se dit-il, et il veut pouvoir se déplacer, apprendre, se lancer dans les affaires, mais ne surtout pas reprendre la tradition familiale et le commerce de tapis paternel. Pour s’émanciper de sa famille qui n’a cessé de combattre afin de se libérer de la tutelle d’Islamabad, pour être du côté des vainqueurs et des plus forts, c’est-à-dire de l’État, il a voulu s’engager dans l’armée mais a été refusé. Il décide donc de faire une demande de visa d’études pour les États-Unis. Il quitte Samarra, la jeune femme qu’il connaît depuis l’enfance et dont il est amoureux, tout en lui promettant qu’il reviendra et qu’il lui offrira une autre vie que celle qui l’attend à Mir Ali. Mais a-t-elle les mêmes rêves que lui ? Le cadet, Sikandar, a choisi la neutralité. Il est devenu médecin. Mina, son épouse, sombre peu à peu dans la dépression après la perte de leur fils. Elle chante sans cesse les prières du défunt et Sikandar doit accourir pour la récupérer lorsqu’elle bascule dans l’hystérie au milieu d’inconnus. Hayat, le benjamin, s’engage lui dans la rébellion. Il veut poursuivre le combat mené par leur père. On découvre avec lui la clandestinité des réunions, la violence de l’armée envers les étudiants, l’organisation des actions de résistance. Pour lui, la liberté c’est l’indépendance. Mais jusqu’où faut-il aller pour y parvenir ? Fatima Bhutto est une jeune journaliste pakistanaise de 32 ans. Elle est la nièce de Benazir Bhutto, Premier ministre du Pakistan tuée dans un attentat en 2007. Avec Les Lunes de Mir Ali, elle passe avec brio du journalisme au roman. Elle y traite à la fois de la difficulté de vivre avec l’héritage familial, la fidélité ou la trahison de ses idéaux de jeunesse et la douleur de la perte. Elle nous donne l’occasion de découvrir les revendications des régions tribales, pour nous qui ne connaissons souvent du Pakistan que les conflits avec l’Inde.