Bande dessinée

Étienne Davodeau

Le Chien qui louche

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photo libraire

Chronique de Enrica Foures

Librairie Lafolye & La Sadel (Vannes)

Inaugurée en octobre 2005 avec Période Glaciaire de Nicolas de Crécy, la collection née de la collaboration entre le Louvre et les éditions Futuropolis ne cesse de s’enrichir de nouveaux titres. Le Chien qui louche d’Étienne Davodeau en est le savoureux neuvième opus.

Créée à l’initiative de Fabrice Douar, éditeur au musée, cette collection a pour but de lier entre elles l’expression graphique de la bande dessinée et celle des œuvres classiques que l’on peut admirer dans les salles de musées. Dixit Fabrice Douar, « cette collection a pour ambition de créer une passerelle durable entre ces deux mondes permettant ainsi de sensibiliser le lecteur de bande dessinée aux collections du Louvre en utilisant les repères traditionnels de ce support, mais aussi de favoriser et encourager la création contemporaine vivante afin de permettre au public habituel du Louvre de découvrir une autre expression de l’art ». Projet ambitieux s’il en est, mais fructueux, puisque Le Chien qui louche en est la neuvième mouture. Étienne Davodeau prend ainsi la suite des imaginaires prestigieux de Nicolas de Crécy, Marc-Antoine Mathieu, Éric Liberge, Bernar Yslaire & Jean-Claude Carrière, Hirohiko Araki, Christian Durieux, David Prudhomme et Enki Bilal. Mais Davodeau, malgré une incursion au Louvre, ne s’éloigne pas de son sujet de prédilection : les petites gens, les personnes simples mais attachantes, incultes d’un point de vue artistique mais passionnées par la vie. Après s’être intéressé à la viticulture et à l’œnologie dans Les Ignorants (Futuropolis), montrant à ses lecteurs que la culture a bien des visages, il fait donc avec Le Chien qui louche une plongée dans l’univers des Beaux-Arts, de ceux qui sont sacrés, enfermés et surveillés. Fabien est un des gardiens du Temple. Présenté à sa nouvelle « belle-famille » par sa récente compagne Mathilde, il fait connaissance avec les Benion, propriétaires, eux, du temple du meuble de leur ville, les Meubles Benion. Tout comme Fabien qui n’aime pas qu’on se moque de son métier « d’agent d’accueil et de surveillance au musée du Louvre », les Benion sont très chatouilleux sur leur activité (on ne dit surtout pas qu’ils « font dans la chaise » !) à propos de laquelle, tel Monsieur Jourdain, ils font de la poésie et de la philosophie sans le savoir. Profitant de l’aubaine d’avoir un « spécialiste » à la maison, ils déterrent une toile de l’arrière-arrière-grand-père de Mathilde représentant un affreux cabot qui louche, curieux de savoir s’il existe une trace de génie dans la peinture de l’aïeul et si celle-ci pourrait éventuellement figurer parmi les œuvres du musée. Arguant de son statut de simple surveillant et effrayé à l’idée de vexer les Benion, Fabien refuse de prendre parti. Mais cet argument ne suffit pas à faire renoncer ses deux beaux-frères qui sont bien décidés à obtenir une réponse… Le doigt dans l’engrenage, Fabien se laisse entraîner dans une histoire farfelue qui lui permettra de faire connaissance avec la mystérieuse « République du Louvre ». Mêlant réflexion sur la valeur de l’art et récit intimiste comme il les affectionne, Davodeau pose son regard, toujours tendre et amusé, sur cette drôle de famille maladroite et chaleureuse. Il questionne également la manière dont sont choisies les œuvres dans les musées. De plus, l’intéressant dossier de fin d’album nous apporte quelques éléments de réponse. Étienne Davodeau nous livre un nouveau cru haut en couleur et plein d’humour, qu’on lit encore une fois avec délectation jusqu’à la dernière goutte.

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