Bande dessinée

Sibylline Desmazières , Natacha Sicaud

Sous l’entonnoir

illustration
photo libraire

Chronique de Enrica Foures

Librairie Lafolye & La Sadel (Vannes)

Ni état des lieux des hôpitaux psychiatriques, ni réflexion sur les visages de la folie, mais loin des clichés, Sous l’Entonnoir est le témoignage d’un pan sombre de l’existence de Sibylline, sur lequel elle revient avec lucidité et pudeur sous l’œil complice de la dessinatrice Natacha Sicaud.

Aline, 7 ans, apprend que sa maman s’est tuée d’une cartouche de carabine dans le ventre. La vie continue malgré tout pour la petite fille, mais la douleur, lancinante, est tapie en elle, la rongeant de l’intérieur. Dix ans plus tard, ce cancer émotionnel a raison d’elle et la pousse à ingurgiter toutes sortes de cachets dans l’espoir d’en finir, ou plutôt dans l’espoir de trouver une issue de secours, quelle qu’elle soit. Par bonheur, la porte ne s’ouvre pas sur les ténèbres, mais débouche sur une sorte de purgatoire : l’hôpital psychiatrique de Sainte-Anne, à Paris.

Enfermée là-bas, elle n’a alors de cesse de leur montrer à tous, famille et soignants, que sa place n’est pas dans cet endroit, mais bien à l’extérieur, dans le monde des vivants. Elle cherche à leur prouver sa volonté de vivre, s’accrochant à tous les arguments et « preuves » qu’elle peut trouver. Mais ce ne sont ni les soins, ni les médicaments qui lui permettront de trouver réellement la force de continuer. Ce sont l’écriture et la parole qui, conjointement libératrices et salvatrices, vont lui offrir une seconde naissance. Le psychiatre, et surtout les autres patients, réceptacles malgré eux de la détresse de la jeune fille, lui offrent une possibilité d’évacuer l’opaque noirceur qui a pris possession de son être.

Elle porte un regard douloureux mais bienveillant sur ses compagnons d’infortune : Julie, sa rude voisine de chambre, Carole, incarnation de la folie telle qu’on se l’imagine, son principal confident dont elle ignore le prénom, mais aussi tous les fantômes qui hantent les couloirs immaculés de l’institution. Elle analyse aussi ce qui l’a profondément blessée, pointant du doigt ceux qui l’ont abandonnée. « C’est la faute des vivants si j’ai mal autant », avoue-t-elle sans pour autant arriver à le dire aux principaux intéressés. Soutenue par l’hôpital qui lui a ouvert son dossier afin de l’aider à démêler ses souvenirs, Sibylline s’y replonge avec sensibilité et tente ainsi d’exorciser le mal. Appuyé par le trait épuré mais aux couleurs tranchées et franches de Natacha Sicaud, Sous l’Entonnoir est une thérapie a posteriori, un exutoire salutaire et sincère qui permet à l’auteur de tourner une page de sa vie, de prendre du recul face à un épisode cauchemardesque de sa jeune existence. Car, dit-elle en conclusion, « plus on raconte des histoires, plus elles deviennent des histoires […] qui ne feront plus jamais mal. »

Les autres chroniques du libraire