Essais

Arnaud Balvay , Nicolas Cabos

John Ford et les Indiens

illustration
photo libraire

Chronique de Cyril Canon

()

« Je m’appelle John Ford et je fais des westerns. » Au cœur de Monument Valley, site grandiose qu’il révélera au monde, Ford a créé la mythologie ultime du Grand Ouest et marqué à jamais le western de son empreinte. Sa rencontre avec le peuple Navajo, au milieu de cette terre sacrée, deviendra le creuset de ses films les plus épurés et les plus lyriques.

Non content de proposer une inoubliable balade au cœur de la vallée mythique, le superbe ouvrage d’Arnaud Balvay et de Nicolas Cabos dévoile la profondeur et l’intensité d’une relation unique : enquête historique autant que cinématographique, John Ford et les Indiens déchiffre la trame du lien intime que le réalisateur a su nouer avec les Navajos. Un lien indéfectible tissé au long d’une trentaine d’année (de 1938 à 1964), ponctué par le tournage de dix grands westerns, dont six, au moins, sont des chefs-d’œuvre certifiés. Dès Stagecoach (La Chevauchée fantastique), film de la première rencontre avec les Indiens, Ford éprouvera pour eux un profond respect. Pour ce peuple qui vivait alors des années de misère, l’arrivée du réalisateur représentait l’espoir d’obtenir enfin du travail. Ce que Ford ne manquera pas de faire lors de tous ses tournages à Monument Valley, mais, surtout, il les filmera, immortalisant ces figures inoubliables, les frères Stanley, Many Mules et les autres qui non seulement donneront aux Indiens une place centrale dans sa filmographie et l’épopée de la conquête de l’Ouest, mais façonneront ainsi tout un pan de l’imaginaire occidental. Car Stagecoach a remis le western, tombé alors en désuétude, au premier plan. Et si on assiste ici à la naissance cinématographique de John Wayne, c’est Monument Valley, magnifié par la caméra de Ford, qui marquera l’imagerie populaire. « C’est ici que Dieu a placé l’Ouest », lancera un jour le réalisateur. Cet impressionnant monolithe sculpté par le vent et l’eau est la terre sacrée des Navajos. Pour eux, « les pierres parlent à ceux qui savent les écouter » et il est primordial de préserver une harmonie avec le monde naturel, de « marcher dans la beauté » pour garder son équilibre. Monument Valley fut pour Ford « le plus bel endroit sur terre, le plus complet, le plus paisible ». Il deviendra son lucky spot, l’endroit où il réalisera ses plus grands chefs-d’œuvre, auquel il devra ses plus beaux succès. Il y avait entre l’homme et le lieu une relation si fusionnelle que Ford, à qui l’on demanda pourquoi d’autres cinéastes n’y avaient jamais tourné, répondit sèchement : « parce que c’est à moi ». Malgré son sale caractère d’irascible irlandais, Ford a su s’entourer d’une équipe fidèle tout au long de sa carrière et les Navajos, une fois entrés dans sa vie, devinrent sa « tribu ». Il reste pourtant controversé pour sa vision de « l’Indien » au racisme sous-jacent, teintée d’une morale bien-pensante et patriotique. Tarentino l’accuse, rien de moins, « de massacrer des Indiens sans visages comme des zombies ». Mais les auteurs soulignent ici qu’en humaniste lucide, il a excellé dans l’exploration de l’ambiguïté humaine. Peintre impitoyable des guerres indiennes et de leur cortège de tragédies, le regard que John Ford a posé sur les acteurs Navajos et leur implacable beauté a rendu un visage à l’Indien.