Essais
Emmanuel Levinas
Eros, littérature et philosophie
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Emmanuel Levinas
Eros, littérature et philosophie
Grasset, IMEC
16/10/2013
384 pages, 26 €
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Chronique de
Cyril Canon
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✒ Cyril Canon
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Disparu en 1995, Emmanuel Levinas a laissé derrière lui d’innombrables notes et carnets. Le troisième volume de ses œuvres complètes lève le voile sur un aspect souvent méconnu du parcours du philosophe : ses textes littéraires.
Depuis que Grasset et l’Institut Mémoires de l’édition Contemporaine (IMEC) ont commencé la publication des archives de Levinas, de nombreux inédits ont été exhumés. Parmi ceux-là et sous forme d’ébauches, se trouvent plusieurs textes littéraires écrits essentiellement en captivité pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que des poèmes de jeunesse. Jean-Luc Nancy, maître d’œuvre de ce travail d’édition, présente deux ébauches de romans, Eros et La Dame de chez Wepler, ainsi que des poèmes et des textes en prose, œuvres de jeunesse écrites en russe entre 1921et 1928. Une manière de montrer une œuvre en gestation. On y découvre les mots d’un jeune homme formé à l’éducation classique russe, épris de symbolisme, de légendes, mais aussi des romans de ses compatriotes, notamment Pouchkine et Dostoïevski. Les poèmes ont la particularité de n’avoir aucune ponctuation – influence probable des formalistes russes de la période pré et postrévolutionnaire. En 1923, le jeune étudiant en philosophie arrive en France et s’inscrit à l’université de Strasbourg. Naturalisé français en 1931, mobilisé en 1939, il est fait prisonnier. C’est durant cette époque qu’il réfléchit à sa future œuvre philosophique et s’adonne à sa passion de la littérature en ébauchant le roman Eros. Dans ce texte, l’écriture porte déjà le mouvement et l’itinéraire d’une pensée, le germe qui se développera plus tard dans Totalité et Infini, où la figure d’Eros est justement centrale. Dans cette tentative de roman, Levinas cherche à nous faire éprouver la sensibilité du désir et du rapport à l’autre pour mieux devenir « soi ». Or, chez le philosophe, l’autre ne peut être que féminin. Le déchiffrage de ces carnets apparaît comme un travail archéologique, la quête des fondements d’une pensée majeure du xxe siècle.