Essais

Buon appetito !

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photo libraire

Par Cyril Canon

Il va être très dur de ne pas filer la métaphore culinaire pour évoquer ces deux délicieux ouvrages venus d’Italie. Car aussi différents qu’ils puissent être dans leur forme, ils traitent tous deux de ce qui fait l’essentiel de la vie d’un homme : la nourriture.

Avec Les Contes de la table, c’est à un festin d’histoires, un véritable banquet de l’esprit que nous convie Massimo Montanari. Spécialiste de l’alimentation, l’historien de Bologne nous invite à déguster et découvrir les saveurs du Moyen Âge et de la Renaissance à travers différents chapitres mêlant chroniques, faits historiques et anecdotes. Tiré de textes anciens issus des archives, ce livre pétillant, riche de récits drôles ou dramatiques, nous montre, mais nous le savions déjà, l’importance primordiale de la cuisine et du repas dans l’imaginaire et l’Histoire collective de l’homme. Sous forme de contes riches d’enseignements, passant de Charlemagne à Yvain le chevalier au Lion, on apprend le sens du partage et de la préséance, ou, avec saint François, que la charité et la solidarité valent plus que la pénitence. On y découvre aussi l’histoire méconnue de la genèse du premier best-seller culinaire, ainsi que le dress code nécessaire à la cour du roi Robert d’Anjou, auquel Dante dut se plier. Les histoires vraies alternent avec les récits fictifs, où l’on croise des hommes célèbres, des inconnus et des figures légendaires. Très joliment illustré, voilà tout à fait le genre de livre qui, sans avoir l’air d’y toucher, est un trésor d’érudition et de connaissances, où le plaisir de lire s’accommode parfaitement aux plaisirs de la table. Et puisque le plaisir est italien, remercions vivement Florence Rigollet d’avoir traduit et coordonné les recettes et souvenirs d’Ugo Tognazzi, et de restituer dans un essai vif et pertinent le contexte historique qui a vu la naissance de La Grande Bouffe, ce film « monstre » devenu culte. Tognazzi, acteur fabuleux, était aussi un incroyable cuisinier, amoureux fanatique des pâtes. Ses souvenirs égrènent les moments d’intimité liés à la cuisine. Avec un style enlevé, il mêle la petite histoire, toujours cocasse, à la grande. C’est un portrait de l’Italie populaire, débrouillarde, généreuse, vu à travers les yeux de cet éternel enfant qui ne cesse de s’émerveiller devant la richesse culinaire de son pays. Il nous offre le secret de ses recettes les plus emblématiques. Des recettes simples et familiales issues de la coccina povera. Ce livre, comme le nomme si justement son auteur, est une « autogastrobiographie ». On y retrouve toute sa truculence, son humour, sa tendre ironie, et l’amour qu’il porte à son éternelle Italie. Quand au conte cruel de Marco Ferreri, ce film, énorme coup de poing à la face de la société, cette scandaleuse Grande Bouffe est la matrice d’une magnifique amitié, subversive et potache, qui unit les acteurs entre eux. Un lien indéfectible né de ce tournage orgiaque, où, drogués de nourriture, ils devaient se voir mourir un par un. Expérience essentielle dans la vie de Tognazzi, ce chef-d’œuvre a marqué toute une génération. Expérience que l’on peut prolonger en reproduisant les recettes issues du film, comme le fameux cassoulet de Castelnaudary (le meilleur plat « lourd » du monde selon l’auteur) et la tarte d’Andrea.