Polar

Megan Abbott

Envoûtée

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Chronique de Marie-Laure Turoche

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Dans les années 1930, en pleine Prohibition, dans une ville dominée par la corruption et le sexe, une jeune femme innocente sombre dans la passion amoureuse et la dépravation. Elle devra apprendre, malgré elle, les mécanismes de la manipulation. Voici le nouveau roman noir de la talentueuse Megan Abbott.

L’envoûtée s’appelle Marion Seeley. Elle est une charmante jeune femme, bien éduquée et bien naïve. Son mari, un médecin déchu, est forcé de l’abandonner à Phoenix pour partir travailler dans une compagnie minière au Mexique. Marion est employée comme secrétaire dans un hôpital de la ville. Rapidement, elle se lie d’amitié avec Louise, une infirmière, ainsi qu’avec sa colocataire tuberculeuse Ginny. Ces dernières ne sont pas des filles « comme il faut ». Elles organisent régulièrement, dans leur maison, des soirées de débauche où se retrouvent des notables de Phoenix. Ces riches messieurs subviennent à leurs besoins au moyen de cadeaux ou de trafic de médicaments. Un endroit peu recommandable pour une jeune ingénue comme Marion. Pourtant, elle s’y installe. Lors d’une de ces soirées, elle rencontre Joe Lanigan, propriétaire de plusieurs pharmacies. Elle tombe immédiatement sous son charme, devient « sa chose », s’oublie, s’humilie : « Les cuisses encore humides, elle accepta cette terrible révélation : elle était étrangement fière. Elle l’avait satisfait. N’était-ce pas, bizarrement, merveilleux ? Cet homme m’a humiliée deux fois, la première fois en me traitant de putain, et la seconde en me montrant que j’en étais une. Je suis une pécheresse Dr Seeley. Plus grave encore, j’ai appris à aimer mon péché. » Joe Lanigan possède et son âme et son corps. Encore une histoire où une jeune femme candide découvre le plaisir avec un homme fascinant et dangereux ? Non, Envoûtée ne fait pas partie de ces livres à la mode. Megan Abbott est beaucoup plus subtile et inventive. Peu à peu, par petites touches, elle glisse quelques éléments, fait quelques allusions… Le lecteur est dérangé, voire mal à l’aise. Par ailleurs, bien que l’érotisme soit effectivement présent, l’auteure préfère la suggestion aux détails, la finesse aux descriptions trop crues. Envoûtée est un roman qui rend hommage aux femmes ; et si Marion en est l’héroïne, les autres personnages féminins n’en sont pas moins fascinants. Louise, l’exubérante rousse, rusée avec le cœur sur la main ; et Ginny, la blonde sexy, mourante, sombrant doucement dans la folie. Mais l’amitié amoureuse qui lie ces trois femmes ne résistera pas à la jalousie. Ne jamais sous-estimer ce sentiment puissant et dévastateur qui peut pousser n’importe qui au crime. Les hommes ne sont pas en reste. Qu’il s’agisse de Joe Lanigan ou du Dr Seeley, chacun se révèle plus complexe qu’il ne paraît. Ni manichéen, ni féministe, Envoûtée est avant tout une histoire de mœurs, d’obsession, de sang et d’amour. Megan Abbott décortique ses personnages jusqu’à ce qu’ils dévoilent leur face cachée, la part sombre de leur être. Plus qu’un roman, c’est une véritable enquête étayée par des extraits de lettres et d’autres témoignages. D’une sensualité rare en écriture, le dernier livre de Megan Abbott est aussi obsédant que son personnage Joe Lanigan. Car si la victime de ce dernier est Marion, celle de Megan Abbott est véritablement son lecteur.

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