Polar

Megan Abbott

Red Room Lounge

illustration
photo libraire

Chronique de Christophe Dupuis

Pigiste ()

Amérique, années 1950. La complicité d’un beau flic et de sa sœur – avec laquelle il continue de vivre – est mise à mal par l’arrivée inopinée d’Alice. Avec ce troisième roman publié en France, Megan Abbott achèvera de convaincre ses déjà nombreux adeptes.

Megan Abbott nous avait charmés avec Adieu Gloria (Le Masque). Elle confirme tout le bien qu’on pensait d’elle avec ce nouveau roman écrit quelques années plus tôt. Bill est flic, Lora est prof et ils vivent tranquillement dans une banlieue de Los Angeles. Sauf qu’ils ne sont pas mariés, juste frère et sœur. Suite à un accident dont il a eu à s’occuper, Bill rencontre Alice. C’est le coup de foudre. Six mois plus tard, ils se marient et partent en lune de miel à La Havane. Alice est costumière pour le cinéma, n’a pas de famille, très peu d’amis, est pétulante, dynamique, séduisante et devient vite l’icône du couple. Lora se laisse d’abord séduire, puis commence à se poser des questions sur le passé de sa belle-sœur. Et ces questions vont l’entraîner vers…

L’histoire repose sur des ressorts on ne peut plus classiques, mais la grande force de Megan Abbott est de les agencer de manière à composer un livre somptueux. En l’espèce, l’entrée en matière très rapide, très rythmée, qui correspond à l’irruption d’Alice dans la vie de Bill, est un modèle du genre. Ensuite, la finesse d’une Lora qui ne s’en laisse finalement pas compter : « Je ne sais pas trop à quel moment mes soupçons au sujet d’Alice sont passés de l’ambiguïté à ça, un désir instinctif de savoir, de savoir ce qui avait réussi à s’introduire dans notre famille, dans notre vie. » , désir qui va faire basculer la vie de cette jeune femme en lui faisant côtoyer un monde bourgeois dont elle ignorait à peu près tout. « S’il existe une façon de décrire cela, c’est comme si le monde, autrefois hermétique compact et parfait, s’était ouvert… Non, comme s’il s’était fissuré, et à l’intérieur, à l’intérieur… » Ajoutez à ceci un décor très visuel, sans pourtant que l’auteur cède à la dangereuse manie des descriptions (sauf quelques inventaires culinaires au début du roman), des personnages très bien campés aux motivations aussi obscures que secrètes et une progression dramatique admirable au cours de cinquante dernières pages qui vous colleront à votre fauteuil… et vous avez du grand art. À lire d’une traite pour en apprécier encore plus le rythme.