Jeunesse

Hervé Tullet

Oh ! Un livre qui fait des sons

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photo libraire

Chronique de Muriel André

Etablissement Scolaire École Gabriel Péri (Saint-Chamas)

Prenez trois cercles de couleur associés à trois sons amusants (des « Oh ! », des « Ah ! », des « Whaou ! ») et voilà le jeune lecteur plongé dans un monde ludique où sa propre voix devient le héros de l’histoire. C’est le nouveau pari d’Hervé Tullet et ça marche ! Oh ! Un livre qui fait des sons… ça va faire du bruit !

PAGE — Dans votre nouvel album, vous reprenez le principe d’une lecture ludique en interaction avec le lecteur, mais vous y ajoutez cette fois-ci une dimension sonore. On pourrait le rapprocher d’une partition de musique contemporaine adaptée aux jeunes enfants. D’où vous est venue cette idée ?
Hervé Tullet — Absolument ! Mes livres sont en général assez sonores. On les prend et je crois qu’on oublie assez vite le texte : les images et les idées engendrent, provoquent, suscitent rapidement des dialogues, des voix, des sons (enfin, c’est ce que j’espère). C’est aussi ce que je fais quand je lis mes livres en public, et en particulier à l’étranger où j’ai très vite pensé à utiliser ma voix et des sons pour lire mes livres et me passer ainsi de l’aide de la langue du pays et d’un traducteur ! Tous ces sons sont présents dans mes livres mais je dirais, implicites, induits, alors très naturellement, j’ai voulu me confronter directement à cette idée des sons dans ce nouvel album et les aborder « pour de vrai » ; donner un son et jouer avec sa traduction visuelle, ou chercher à jouer avec les voix, donner la voix.

P. — À partir de seulement trois points de couleurs différentes, vous parvenez à créer à chaque fois un nouvel univers récréatif et pédagogique pour le lecteur. Comment faites-vous pour entretenir une telle imagination ?
H. T. — Ce n’est pas moi ! C’est le lecteur qui fait tout ! L’abstraction des trois points n’est pas du tout abstraite, elle est très concrète au contraire : c’est gros, c’est petit, c’est à droite, c’est rouge, c’est rayé, c’est déformé : autant de signes qui parlent. Pour moi c’est une façon peut-être plus directe d’exprimer une idée ; et ce vocabulaire graphique est très simple, on peut facilement se l’approprier pour exprimer ses propres idées.

P. — Vous êtes régulièrement lu dans les classes et vos albums sont très souvent empruntés en bibliothèque. D’expérience, lors de la lecture, les enfants se prennent au jeu de vos histoires et en redemandent. Comment expliquez-vous un tel succès ?
H. T. — C’est difficile à expliquer et je ne veux pas vraiment le savoir, disons que de livres en livres je n’applique pas une recette et, par exemple, le dernier Oh ! est une expérience à part entière avec une part de risque (faire sortir la voix). Et c’est peut-être une part du succès : un livre non calibré comme un produit, une expérience à enrichir, à inventer, à s’approprier. Ça donne des livres vivants à interpréter et là, oui, je me sens bien suivi par plein de gens qui considèrent, je crois, mes livres comme le début de quelque chose, d’une expérience qu’ils vont pouvoir prolonger en créant leur propre lecture, leur propre rituel, comme des ateliers, jeux, spectacle, danse, chanson, que sais-je… C’est très joyeux, ce partage.

P. — Vous faites d’ailleurs des animations avec des enfants. Leurs observations, leurs réflexions, leurs réactions spontanées sont-elles pour vous des « déclencheurs » de nouvelles idées pour vos livres ?
H. T. — De nouvelles idées pour les livres, je ne pense pas, mais d’avoir le sentiment qu’il n’y a pas de limites dans l’exploration, que tout est ouvert, possible, les blancs, les silences, les folies. L’enfant est tout en intuition et il démarre au quart de tour sans savoir où il va, et moi aussi je démarre au quart de tour, sans préméditation, en improvisant vraiment et en vivant le moment, alors on avance ensemble sans vraiment savoir où l’on va, mais on sait qu’on y va et on a confiance, on s’amuse bien et on n’a même pas peur ! Et ça donne envie de recommencer et de trouver d’autres idées.

P. — À l’ère du numérique et des jeux vidéo, vos livres se touchent, se secouent, se frottent… Est-ce pour vous une manière de défendre le livre papier ?
H. T. — Depuis mon premier livre et mes premières rencontres dans les écoles, je pense que l’accès au livre est la possibilité pour un enfant, surtout dans un environnement difficile, de s’en sortir ; le livre peut montrer une voie, un chemin. Pour cela, il lui faut des livres surprenants qui lui donnent envie d’en découvrir d’autres. Et pour l’accompagner dans sa recherche d’un nouveau livre, il faut qu’il y ait un libraire, un enseignant, un bibliothécaire, enfin quelqu’un qui l’accompagne dans son envie d’un autre livre. Je me sens en tant qu’auteur comme un outil au service de cette idée. Quant au numérique, je ne crois pas qu’il sera considéré un jour comme un véritable outil pédagogique puisque Apple n’accompagne pas encore les enfants ! Le livre oui, toujours !

 


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