Littérature étrangère

Akira Yoshimura

Mourir pour la patrie

WS

✒ Wilfrid Sejeau

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Akira Yoshimura signe un ouvrage terrible, d’un réalisme saisissant, d’une rare puissance d’évocation. L’enfer de la guerre vu par un écolier de 14 ans, courageux et fanatique. Âmes sensibles s’abstenir.

Mars 1945, les troupes américaines s’apprêtent à débarquer dans l’île d’Okinawa, une des dernières « étapes » avant d’atteindre Honshu et la capitale de l’Empire. Les habitants de l’île se préparent à une résistance désespérée, tous les valides sont enrôlés pour se battre ou contribuer à l’effort de guerre. Le roman d’Akira Yoshimura, paru au Japon en 1967 et jusque-là inédit en France, s’ouvre sur une scène poignante : à l’école secondaire Numéro 1, les élèves de première et deuxième années sont trop jeunes pour aller sur le front. Ils s’en plaignent amèrement, plein de larmes, humiliés. Eux aussi veulent mourir pour la patrie. À 14 ans, Shinichi Higa peut revêtir l’uniforme, avoir un fusil et disposer de ses trois grenades, la dernière devant nécessairement être conservée pour se donner la mort en cas de capture par l’ennemi. Il rêve de se battre et de mourir en héros, de tuer un maximum d’ennemis. Le roman de Yoshimura fait entrer le lecteur dans deux univers étrangers : d’abord la mentalité nippone du sacrifice, où l’individu n’a d’autre valeur que sa capacité à se donner pour son pays ; ensuite, l’enfer. Tout simplement l’enfer. Dès les premières pages du livre, Shinichi est encerclé par les bombes, les balles ne cessent de siffler, les obus labourent la terre. Le sol se jonche de cadavres, les soldats japonais vivent enterrés au fond des tranchées, dans des cavernes que les soldats américains creusent au marteau piqueur pour les griller ensuite au lance-flammes. La vision de l’hôpital militaire est dantesque, effroyable. On sent les odeurs, les secrétions, on voit mourir les soldats couverts de poux, accablés de douleur, déjà rongés par les asticots. Shinichi va traverser l’horreur, se cacher sous des cadavres, tout connaître de la guerre, immédiatement. Sans une once de romantisme…

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