Littérature française

Arrigo Lessana

Le Sens de l’orientation

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photo libraire

Chronique de Véronique Mutrel

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Arrigo Lessana nous invite dans ce roman à partager les doutes de Ferdinand, chirurgien du cœur qui, s’il a réussi une brillante carrière professionnelle, connaît quelques déboires dans sa vie personnelle. Entouré d’une belle galerie de personnages, décalés chacun à leur manière, Ferdinand retrouvera-t-il le fil de sa vie ?

Page — Vous avez exercé la chirurgie cardiaque pendant une trentaine d’années, puis vous vous lancez dans l’aventure littéraire avec un premier récit très remarqué, L’Aiguille, paru aux éditions Denoël en 2010, où vous relatez votre expérience de chirurgien, dressant un parallèle avec votre passion pour la montagne. Avec ce deuxième livre, vous reprenez les thèmes qui vous sont chers sous l’angle de la fiction. Pourquoi avoir choisi la forme romanesque pour ce nouveau livre ?
Arrigo Lessana — Contrairement à mon premier livre, dans lequel j’exposais ma vision de mon métier de chirurgien, j’ai éprouvé le besoin de mettre en scène le personnage de Ferdinand, car il me semble que la fiction offre une subjectivité – que l’on pourrait d’ailleurs rapprocher d’une forme d’intuition –, qui permet de mieux appréhender le réel. Et puis, c’est une manière de dire également qu’il y a beaucoup plus de subjectivité qu’il n’y paraît dans l’acte chirurgical.

Page — Le roman s’ouvre sur une séance chez le psychanalyste du personnage. Lui aussi est une figure inattendue et attachante – il y a cette volière dans sa salle d’attente, jolie métaphore, ayant son importance dans le roman.
A. L. — Valentin est très à l’écoute de ses patients, qui viennent se défaire de ce qui les oppresse. Et si j’ai fait de cet homme un joueur invétéré, c’est pour montrer qu’il est dans la perte. J’aime beaucoup ce personnage…

Page — On pourrait imaginer que tout sourit à Ferdinand, pourtant sa vie personnelle est un échec…
A. L. — Sa femme Eléonore le quitte alors que les liens entre eux sont distendus depuis quelque temps. C’est un homme qui a tout investi dans sa profession et qui prend conscience de la faille se creusant entre le sentiment amoureux et l’objet de l’amour. Il espère pourtant retrouver l’amour en la personne de Paola.

 


Page — Ferdinand est aussi un bon vivant. Il aime les motos, le foot et surtout la montagne. Il parle de tout cela avec beaucoup plus de sensualité que de sa femme.
A. L. — Ah ! Vous le voyez ainsi ! Ce que j’adore dans l’écriture, c’est ce que j’apprends de mes lecteurs… Oui, il aime tout cela. Pour Ferdinand, la montagne est aussi une histoire d’amitié. Il partage avec son copain Pascal ce plaisir pur. Il aime aussi le danger. C’est une autre forme de danger que celui auquel il est confronté au quotidien.

Page — Paola est un personnage fantasque qui a pour ami Samir, couturier homosexuel. Vous faites dire à Samir, lors d’un échange avec Ferdinand : « Dans la vie il y a les Utiles et les Inutiles ».
A. L. — Samir se range dans la catégorie des « Inutiles » et c’est ce qui fascine Ferdinand, lui qui est forcément du côté des « Utiles » puisqu’il répare les cœurs. L’« Inutile », c’est l’artiste, dont l’« inefficacité » touche à l’essentiel pour Ferdinand.

Page — Éléonore, la femme de Ferdinand, va avoir une liaison avec Samir. Pascal prend Sophie pour amante, mais ne quittera jamais sa femme Hélène. Ferdinand ignore qu’il existe un lien entre Paola, son nouvel amour, et Valentin … Ce marivaudage donne une atmosphère tragi-comique à votre livre.
A. L. — J’ai voulu rendre cette ironie dans les situations vécues par mes personnages et c’est aussi pourquoi, après le premier jet, j’ai souhaité introduire des intertitres. J’avais besoin d’établir cette distance.

Page — Tout le livre est également parcouru de références à la science. Outre le personnage de Ferdinand, Éléonore est mathématicienne et chercheuse, Valentin médecin des âmes, et Paola possède un compas qui date du Moyen Âge.
A. L. — Ferdinand est dans l’expérimentation, il cherche plus à apprendre de ses échecs que de ses succès. Surtout, il doute. Cette attitude fait écho à l’évolution de la science. Au Moyen Âge, le monde s’adaptait aux théories des magiciens. Puis sont apparus des savants qui basaient leurs théories sur la raison, le doute, l’étonnement… Si on ne doute pas on ne peut pas apprendre.

Il y aurait encore beaucoup à dire de ce roman à la fois profond, plein de grâce et d’humour, sur le va-et-vient des cœurs et l’insondable profondeur de l’âme. Je ne vous en dévoilerai pas davantage. Découvrez-le sans tarder, et s’il vous plaît Arrigo Lessana, ne nous faites pas attendre trop longtemps avant de publier votre prochain livre. On est impatient.