Littérature étrangère

Jesmyn Ward

Le Chant des revenants

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photo libraire

Chronique de Judy Manuzzi

Librairie Prado Paradis (Marseille)

À quoi peut ressembler la vie quand on est noir, pauvre, vivant dans un État du Sud des États-Unis qui se débat encore avec ce qu’il reste de la ségrégation et des lois Jim Crow ? Jesmyn Ward apporte une réponse.

Léonie est une jeune mère droguée et trop immature pour s’occuper avec amour de ses enfants, Jojo et Kayla. Ils partent ensemble chercher Michael, son mari, sur le point de sortir de Parchman, une prison agricole. C’est un voyage éprouvant qui commence, ponctué d’événements parfois sans importance – des repas sur le pouce, des disputes, des enfants malades – et d’autres qui témoignent de la brutalité de leur quotidien. Tous ces moments dessinent le portrait d’une famille usée. Les enfants passent beaucoup de temps avec leurs grands-parents, plus aimants mais ébranlés par un passé douloureux et la maladie. Jojo, lui, est le phare dans la nuit, l’espoir d’un avenir moins obscur. Fier, tendre, il s’occupe du bébé et n’appelle pas sa mère « maman ». Le Chant des revenants est un titre loin d’être choisi au hasard. Sur le chemin du retour, à la moitié du roman, des fantômes s’invitent chez les vivants : Given, le frère décédé de Léonie, et Richie, un gamin enfermé dans la même prison des années auparavant, prennent la parole. Le surnaturel pénètre subtilement la réalité et Jesmyn Ward décortique l’histoire complexe du Sud, l’héritage du racisme, mais aussi les croyances dans les fantômes et le vaudou. Le choix des mots est redoutable, brut et poétique. C’est l’histoire d’une famille brisée dans le Mississippi, coincée entre la drogue, la violence, la prison et la décadence de l’Amérique. Jesmyn Ward a grandi dans le même État et a perdu son jeune frère, assassiné. Sa famille a survécu à l’ouragan Katrina et tous ces sujets se mêlent dans un roman lyrique, emporté par une écriture vive et des personnages plus vrais que nature. Elle est la première femme à avoir reçu deux fois le National Book Award (pour Bois Sauvage en 2011 et pour celui-ci en 2017) et il n’y a rien de plus légitime.