Littérature française

Léonora Miano

Ces âmes chagrines

CF

✒ Catherine Florian

(Librairie Violette and co, Paris)

Avec ce sixième roman, l’auteure poursuit son exploration critique de la communauté noire de l’Hexagone et de l’Afrique. Elle exhorte ses compatriotes à assumer leur multi-appartenance et à se réconcilier avec leur Histoire pour recouvrer l’estime de soi.


Dans une fascinante suite africaine composée d’une trilogie, Léonora Miano portait un regard sans concessions sur le continent africain. D’une écriture lyrique et poétique, elle soutenait que le malheur de l’Afrique subsaharienne venait de l’oubli de sa propre histoire, celle de la traite esclavagiste et de la colonisation. Son mal est plus spirituel qu’économique et politique, et l’avenir est impossible si elle perd la mémoire. Ce qui est valable pour un peuple l’est tout autant pour les destins individuels. L’intériorisation de la haine de soi engendre la violence et l’autodestruction. Le rapport à la Terre-Mère est omniprésent dans les livres de l’auteure, notamment ceux consacrés aux descendants des Subsahariens et Caribéens vivant en Europe : Tels des astres éteints (2008) et Blues pour Élise (2010). Ces âmes chagrines fait partie de ce dernier cycle portant sur la communauté afropéenne où sont développés les thèmes chers à Léonora Miano, qui revendique une hybridation culturelle, une identité afro-occidentale. Son écriture, faussement classique, reflète ce métissage assumé. Elle est ici plus légère, comme dans son précédent roman. On y décèle le même sens du rythme qui se combine avec un double niveau de lecture, réaliste et métaphorique. Ombre et lumière, pas de manichéisme. Les personnages commettent des actes horribles mais recherchent la rédemption en se débattant avec eux-mêmes, comme Antoine Kingué alias Snow. Né en France, il entretient sa rancœur à l’égard de sa mère qui l’a délaissé et de son frère sans-papiers, dont il profite en lui louant sa carte d’identité. Il ne ressent que dégoût pour son pays d’origine, l’imaginaire contrée du Mboasu, où les habitants sont violentés et dépossédés de tout au profit d’une élite locale corrompue qui fait allégeance à un Nord exploiteur et condescendant. Centré sur lui-même, peroxydé, défrisé, Antoine cultive son image dans une société où apparence et vanité sont privilégiées. Il devra toutefois renouer avec son passé, celui de son peuple, pour se réconcilier avec la vie.

Les autres chroniques du libraire