Littérature étrangère

Herta Müller

Animal du cœur

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photo libraire

Chronique de Catherine Florian

Librairie Violette and co (Paris)

Ce roman, à l’instar de toute l’œuvre d’Herta Müller, est une terrible dénonciation et une magistrale exploration de la dictature. En ancrant ses récits en Roumanie, son pays d’origine, elle parvient à toucher à l’universel.

Un groupe de jeunes gens, Lola, Edgar, Kurt, Georg et la narratrice, venus de leur province pour étudier à Timisoara, sont harcelés et terrorisés par la police de Ceaucescu. À travers leur histoire, tous les registres de la répression sont déclinés : la peur continuelle des persécutions individuelles et l’aliénation qui en résulte, la surveillance quotidienne, la méfiance constante distillée entre pairs et membres d’une même famille, les meurtres travestis en suicides, le chantage, les interrogatoires, le silence forcé. C’est précisément ce balancement entre se taire et parler qui est au cœur du dispositif répressif, il ouvre et clôt d’ailleurs le roman. L’écrivaine le traduit parfaitement dans son écriture qui, comme elle le dit, est née du silence. Par une langue dense et précise, tant poétique que prosaïque, où les non-dits sont tout aussi importants que les mots, elle fait ressentir, dans notre chair même, la réalité d’un régime totalitaire. Ce silence imprègne plus intensément la minorité allemande des Souabes à laquelle appartiennent les personnages et l’auteur elle-même. Ce groupe, particulièrement persécuté, a dû supporter la honte d’un passé pro-nazi qui fut en définitive celui de toute une nation. C’est par un style économe, parsemé de détails sur la vie matérielle et d’images, comme celle de cet « animal du cœur », plus que par les discours didactiques et les paroles démonstratives, qu’Herta Müller reflète le vécu sous tension des personnages. « Nous écoutions plus avec les yeux qu’avec les oreilles », dit-elle. Non seulement l’État espionne constamment, mais il entretient volontairement la pauvreté et les restrictions de toutes sortes comme technique d’asservissement. Le désespoir est tel que la seule issue envisageable est la fuite. Pourtant, l’oppression est sans fin, elle traverse les frontières et les générations. La mort et la folie sont souvent au bout du chemin. On peut aussi y trouver une grande romancière qui dit avoir appris à vivre en écrivant.