Beaux livres

Zep

L’étonnant voyage de Zep

photo libraire

L'entretien par Roxanne Moreil

Librairie L'Oiseau tempête (Saint-Nazaire)

Publié chez Gallimard, le Carnet intime de Zep réunit vingt ans de croquis réalisés lors de voyages dans le monde entier, choisis et assemblés par le dessinateur et son éditeur, Thierry Laroche. Avec un regard amusé teinté de mélancolie, l’auteur revient ainsi sur sa vie tout en soulevant des questions universelles, sortant de la seule sphère privée pour toucher son lectorat en profondeur. Un voyage dont on ne sort pas tout à fait indemne.

PAGE : Noircir des carnets de croquis, c’est le réflexe quotidien de tout dessinateur. Comment vous sont venues l’idée et l’envie d’en publier un recueil ?

Zep : Ces carnets ne sont pas des carnets de recherche pour un livre. Ils constituent mon hygiène de dessinateur. Pendant des années, il n’était même pas question de les montrer à mes proches. Petit à petit, mes résistances ont lâché. Je les ai présentés dans diverses expositions… Un éditeur est venu et le livre a pris forme.

 

P. : Le livre porte le titre de Carnet intime. Ce sont davantage les légendes des dessins que leurs sujets même qui évoquent votre vie privée. Pourquoi, vous qui êtes plutôt un auteur de fiction, avez-vous eu envie de travailler à partir de votre vie personnelle ?

Z. : J’ai toujours travaillé à partir de ma vie privée… mais caché derrière un personnage de bande dessinée. Quand je suis assis pendant une demi-heure face à un arbre que je dessine, mes pensées vagabondent. C’est un temps de méditation sur mon rapport au dessin, sur le monde immobile… et forcément sur ma vie d’homme. Ce sont ces pensées que j’écris au bas des dessins. Mais les dessins eux-mêmes ont une intimité plus grande que le texte. Plus évocateurs qu’explicites, ce sont eux, pourtant, qui représentent la part intime du dessinateur.

 

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© Zep, Carnet intimes, Gallimard

 

P. : Le livre regroupe des dessins réalisés sur près de vingt ans. Pourtant, ils ne sont pas donnés à lire chronologiquement. D’une page à l’autre, nous faisons des bonds en avant et en arrière de plusieurs années. Pourquoi avoir pensé la lecture de cette façon aléatoire ?

Z. : La chronologie a été conçue à partir des dessins. Nous avions envie de commencer par le Sud de la France, puis de voyager plus loin.

 

P. : Le Carnet ne regroupe sans doute qu’une très maigre part des dessins composés au cours de vos voyages. Comment avez-vous choisi les dessins publiés ici ? Votre choix s’est-il porté sur les dessins eux-mêmes ou sur les souvenirs qu’ils évoquent ?

Z. : Le choix s’est opéré avec Thierry Laroche, mon éditeur. C’était essentiel d’avoir son regard. Certains de ces dessins sont trop chargés ou trop lointains pour moi, je n’aurais pas pu faire le choix seul. À l’arrivée, les dessins évoquent des souvenirs assez variés. Du sexe, de la violence, du suspense…

 

P. : J’imagine que toutes ces expériences vous ont permis de revenir sur l’évolution de votre vie. En va-t-il de même pour votre dessin ? Comment voyez-vous l’évolution de votre trait ? Avez-vous encore le sentiment d’apprendre ?

Z. : Bien sûr. Mon dessin bouge et va encore bouger. Je suis un dessinateur obsédé du détail. J’ai vraiment besoin de « capturer » ce que je vois par le trait. C’est une quête, un truc qui peut rendre fou. Il est donc essentiel pour moi de continuer à faire travailler ma main et mes yeux… sinon, je finirai dessinateur de mangas.

 

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© Zep, Carnet intimes, Gallimard

 

P. : J’ai l’impression que vous entretenez avec le voyage un rapport ambivalent. On constate en lisant les légendes de vos dessins que vous vous amusez à vous voir en touriste. Quelle est la place du dessin dans ces moments ? Y voyez-vous une sorte de refuge ?

Z. : Oui ! Oui ! Au départ, ces carnets me sauvaient ! J’avais une angoisse du voyage, de débarquer dans un lieu où je ne n’avais aucun repères, où je ne connaissais rien. Je dessinais frénétiquement à peine arrivé pour me fabriquer une familiarité avec l’endroit. Mais ce n’était pas une démarche touristique. Je dessinais pour apprivoiser la ville. Je pouvais dessiner les plaques d’égout, les réverbères (j’adore les réverbères), une cage d’escalier, une porte… J’avais besoin de m’approprier l’inconnu. Je n’allais pas dessiner les monuments fameux. Leur célébrité les rendait rassurants.

 

P. : L’homme est le grand absent de ce Carnet intime. La problématique des lieux pérennes revient souvent à travers les vieux édifices, les arbres remarquables, etc. Êtes-vous d’accord pour dire que vous êtes préoccupé par le temps qui passe et la place qu’occupe l’homme dans le monde ?

Z. : Oui. On ne fait que passer sur cette planète, mais on continue à se comporter comme si nous étions éternels. Je trouve ça flippant.