Littérature française

Ludovic Manchette

D’est en ouest !

photo libraire

L'entretien par Cécile Pailhes

Librairie Mille et une pages (Avranches)

Ludovic Manchette et Christian Niemiec nous font parcourir les États-Unis en juillet 1973, d’est en ouest. Notre guide durant ce périple est Amy, adolescente de 14 ans vivant à Philadelphie. Sans nouvelles de sa grande sœur Bonnie partie conquérir le « rêve américain » à Los Angeles, Amy décide de partir seule la retrouver.

Écrire à deux, est-ce difficile, simple ? Qu'est-ce que cela implique ?

Ludovic Manchette - Nous aimons beaucoup cette image du réalisateur Francis Veber qui dit qu’imaginer une histoire, c’est tracer une route dans le désert. Pour le coup, nous sommes bien contents d’être deux dans ce désert !

Christian Niemiec - De notre point de vue, c’est plus simple puisque nous sommes deux pour répondre aux milliers de questions que se pose un auteur lorsqu’il imagine un roman. Évidemment, cela implique d’avoir la même sensibilité et des goûts similaires. Notre chance, surtout, c’est que nous avons envie de raconter les mêmes histoires.

 

Pouvez-vous nous expliquer comment vous vous organisez ?

C. N. - Nous faisons tout à deux : les recherches, le plan et même l’écriture. Lorsque vient le moment d’écrire, nous avons déjà toute notre intrigue. Pour reprendre l’image de la route dans le désert, disons que la route est tracée mais qu’elle n’est qu’un sentier à ce stade et qu’elle peut encore bouger par endroits.

L. M. - Mais nous savons où nous allons et à partir de là, lorsqu’il s’agit de rédiger le texte, l’un de nous lance une phrase, l’autre rebondit et ainsi de suite jusqu’à ce que nous trouvions la phrase qui nous plaît à tous les deux. Ce doit être une évidence. Là seulement, je l’écris et nous passons à la suivante.

C. N. - Notre méthode étonne beaucoup, même les autres auteurs qui écrivent à deux ! Tous ceux que nous avons croisés se répartissent le travail et les chapitres.

 

Vos romans nous plongent aux États-Unis. Y allez-vous souvent ? Qu'est-ce qui vous fascine tant dans ce pays ?

C. N. - J’y suis beaucoup allé à une époque, j’y ai même vécu. Mais pour être tout à fait honnête, l’Amérique qui nous fascine est une Amérique d’un autre temps.

L. M. - On nous a souvent demandé si nous nous étions rendus en Alabama pour effectuer des repérages, mais non. Il en a été question à un moment mais, finalement, nous avons fait nos Jules Verne sur ce coup-là ! Tout simplement parce que nous décrivions l’Alabama d’il y a soixante ans. Dès lors, à quoi bon aller faire des repérages en 2020 ?

C. N. - À vrai dire, l’Amérique contemporaine, comme le monde contemporain en général, ne nous inspire pas beaucoup.

L. M. - Malgré tout, ce qui est fascinant, c’est que c’est le pays de tous les excès, même si Dubaï lui a sans doute ravi ce titre ces dernières années. (Rires) Tout est énorme aux États-Unis. Il faut dire aussi qu’ils sont capables du meilleur comme du pire. Et dans l’inconscient collectif, ça reste le pays de tous les possibles. Le fameux American Dream.

 

Après Alabama 1963, America[s] se passe en 1973. Votre prochain roman se passera-t-il en 1983 ?

L. M. - Eh bien non, pas du tout ! La prochaine fois, nous allons remonter un peu plus loin dans le temps. En fait, nous sommes partisans de ne pas donner au lecteur exactement ce qu’il attend mais plutôt ce qu’il ne sait pas encore qu’il attend !

C. N. - Une lectrice vient de nous demander la suite d’America[s]. C’est un merveilleux compliment mais ce n’est pas vraiment dans nos projets. C’est tout un art de se renouveler tout en offrant au public ce qu’il a aimé chez vous auparavant. Les lecteurs veulent surtout retrouver un même état d’esprit mais dans un univers complètement différent ! Cela dit, ça tombe bien : nous aussi !

L. M. - Ce qui nous fait plaisir, c’est qu’ils nous disent qu’ils nous retrouvent dans nos deux romans, bien qu’ils soient, justement, très différents. Là, généralement, nous leur répondons que c’est parce que c’est encore nous qui écrivons nos romans ! (Rires)

 

L'Histoire des États-Unis vous inspire. Y a-t-il un autre pays – ou une autre région du monde – qui pourrait aussi vous inspirer ?

L. M. - Tout à fait ! Figurez-vous que notre troisième roman se situera en Angleterre. Bon, d’accord, on reste dans un univers anglo-saxon. Les lecteurs ne devraient pas être trop dépaysés !

C. N. - C’est simplement que, par notre travail de traducteurs de dialogues de films, de l’anglais au français – nous écrivons des VF –, nous baignons dans cette culture. A priori, cela devrait rester notre terrain de jeu même si nous ne nous interdisons rien. C’est l’histoire qui décide.

 

America[s] nous montre l’ampleur de la richesse des États-Unis dans leur multitude de cultures, dans leur population hétéroclite. Nous croisons même Bruce Springsteen encore débutant ! Amy va faire de multiples rencontres qui vont façonner son caractère, son avenir. Le but de son voyage est important mais son périple va la changer, nous changer, avec douceur. Car « les voyages forment la jeunesse. » Le lecteur a parfois peur pour elle, bien sûr, mais nous apprenons aussi de ses expériences et de ses rencontres. Avec une écriture épurée et fluide, America[s] se lit avec grand plaisir, sur un transat par exemple, avec le printemps naissant, accompagné d’un petit thé ou d’un café.