Littérature française

Marc Alexandre Oho Bambe

Diên Biên Phù

illustration

Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Le poète et slameur camerounais Marc Alexandre Oho Bambe confronte, dans un roman d’amour et de guerre éminemment musical, l’intime et le politique pour interroger notre libre-arbitre.

Alain Resnais en tête, c’est avec malice que nous pourrions renommer ce texte bluffant « Diên Biên Phù mon amour ». Une belle antithèse pour embrasser l’histoire d’Alexandre, un ancien soldat de la France coloniale en Indochine, qui revient vingt ans après sur les lieux du naufrage, « à la recherche d’un amour jeune et vieux, fou ». Enrôlé en 1954 pour fuir les normes d’un mariage arrangé, porté par la propagande de l’État, le jeune homme expérimente l’horreur et l’absurdité de la guerre. Une plongée en enfer qui lui ôte ses dernières illusions sur l’humanité et sur son pays. Mais dans ce chaos de chair et de poudre, deux individus vont le dévoiler à lui-même et le façonner. Il y a Diop, son camarade de régiment sénégalais, conteur hors pair, qui lui sauve la vie et lui apprend à rester homme en temps de guerre. Il éveille aussi sa conscience politique aux luttes pour les indépendances. Et il y a Maï, la fille au visage lune, dont le nom signifie « pierre d’abricot et d’orchidée ». Dans ses bras, il découvre le véritable amour dans le cocon de l’Hôtel de la Paix. Deux rencontres déterminantes qui le pousseront à revenir à Diên Biên Phù pour un ultime pèlerinage sur les pas de son amante vietnamienne qu’il n’a jamais oubliée. Dans les rues animées, il poursuivra un fantôme. À travers ce roman fulgurant de l’amour fou et de l’amitié totale, scandé par des poèmes que le narrateur a écrits à l’absente pendant vingt ans, Marc Alexandre Oho Bambe nous plonge dans la quête d’un homme en devenir. Un appel à défendre nos singularités face à la machine sociale et politique qui broie nos libertés, à la sonorité universelle : « Nous ne sommes que solitude/Qui s’accrochent/À d’autres solitudes/Qui nous rapprochent de nous-mêmes/Et nous raccrochent au fil de vivre/Poème incertain ». Un coup de maître.

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