Littérature étrangère

Rassembler, éditer

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✒ Sarah Gastel

(Librairie Adrienne Lyon)

Penser l’autre et penser autrement. Depuis plus de vingt ans, les éditions Mémoire d’encrier façonnent un précieux catalogue sous le signe de l’altérité. Focus sur leur collection poche « Legba » à la rencontre d’une romancière sud-africaine, d’un romancier autochtone du Canada, d’un auteur sénégalais et d’une autrice d’origine palestinienne.

Rassembler, éditer, tel pourrait être le cri de ralliement (pour reprendre le titre du livre délicat de Ouanessa Younsi, Soigner, aimer) des deux infatigables passeurs que sont Rodney Saint-Eloi et Yara El-Ghadban. Les deux co-auteurs du livre Les racistes n’ont jamais vu la mer (dialogue lumineux entre deux écrivains confrontés au racisme) recueillent et réunissent au sein de la maison d’édition des voix, souvent muselées, qui racontent un monde pluriel. Des imaginaires de continents différents célébrant la diversité désormais accessibles au format poche grâce à la collection « Legba ». Dieu du panthéon vaudou, Legba, dieu des écrivains, symbolise « le passage du visible à l’invisible, de l’humain aux mystères ». Nul doute qu’en sa compagnie le lecteur cheminera avec curiosité à travers des territoires narratifs peut-être inhabituels mais beaucoup plus proches qu’il ne le pense. Et une fois la barrière franchie, le royaume de l’enfance s’ouvre avec L’Ombre de l’olivier et 105 rue Carnot. Dans le premier texte, Yara El-Ghadban donne la parole à Yuryur, une jeune Palestinienne de presque 10 ans qui vit en exil avec sa famille à Dubaï. Si l’ombre de la guerre n’est jamais loin, les scènes de la vie quotidienne, l’ami imaginaire qu’est l’Oiseau et la langue simple et joyeuse en font un roman tendre sur la jeunesse avec laquelle décide de renouer également Felwine Sarr. L’universitaire, auteur d’une œuvre clef sur l’Afrique contemporaine, éclaire, dans ce recueil de nouvelles, ce qu’est grandir dans un Sénégal urbain. Ces récits travaillés par l’oralité, immortalisant des personnages émouvant par leur vérité, retranscrivent la tendresse et le rêve propres à cet âge. Avec Jonny Appleseed, premier roman queer remarquable, fiévreux et radical, Joshua Whitehead, membre des Premières Nations du Canada, met en scène un narrateur éponyme, travailleur du sexe, qui se prépare à retourner dans la réserve qu’il a quittée pour assister aux funérailles de son beau-père. Ressurgissent alors les souvenirs familiaux, dans un besoin impérieux de se rappeler ce qui fait de lui un NDN (acronyme formé des trois consonnes du mot « Indien » utilisé par les peuples autochtones pour se désigner eux-mêmes) et les épreuves traversées (violences racistes et sexuelles). Enfin, grand roman de l’apartheid, Mère à mère de Sindiwe Magora imagine la lettre que la mère d’un jeune meurtrier noir écrit à la mère de la victime blanche. Un classique incontournable du catalogue.