Littérature étrangère

Mark Twain

Trois mille ans chez les microbes

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photo libraire

Chronique de Emilie Pautus

Librairie La Manœuvre (Paris)

Farce, allégorie, pamphlet, Trois Mille Ans chez les microbes, roman inachevé et posthume, est un texte inclassable. Se présentant comme simple traducteur de la langue microbique, Twain livre l’histoire de cet homme transformé en microbe comme un récit véridique. Contagion par le rire garantie.

Tout commence par un vœu mal exaucé. Alors qu’il rêve de devenir un oiseau, un homme se voit métamorphosé en microbe du choléra. Sa nouvelle demeure, ou plutôt sa nouvelle planète si l’on adopte l’unité de mesure microbienne, est un clochard du nom de Blitzowski. Notre homme, à présent microbe, hérite du nom de b.b.Bkshp (prononcez-le comme vous voulez, la langue microbique est bien trop énigmatique). b.b.Bkshp, pour qui cette expérience va être révolutionnaire, tente de raconter dans les moindres détails ses 3 000 premières années au sein des microbes de Blitzowski (3 000 ans microbiques qui, d’après un savant calcul, correspondraient à trois semaines en temps humain). Mais sa mémoire humaine s’efface au fur et à mesure de son récit, laissant place à beaucoup d’incohérences. Pour apporter quelques éclaircissements, le microbe annote son texte 7 000 ans plus tard, en temps microbique toujours. Laissons-lui croire que ces notes dissipent les approximations historiques ! Sur la planète Blitzowski, les microbes, appelés les sooflansky, sont organisés et hiérarchisés. À l’instar de notre monde, il existe autant de pays, de langues, de religions, de sectes et de systèmes politiques, qu’il existe de souches de microbes. La monarchie du bon Henri le Grand 861 sous laquelle vit notre microbe, n’a que peu de ressemblances avec le célèbre Enrichissez-vous vite, pays libéral par excellence, stratégiquement situé dans l’estomac de Blitzowski. Ce petit monde qu’idéalise au début b.b.Bkshp va cependant très vite montrer ses limites. Si proches des hommes finalement, les sooflansky se répartissent en castes et dénigrent l’humble travailleur qualifié de MPS, « mange son pain souillé ». Et que dire des swink, ces petits microbes qui infectent les sooflansky considérés comme les rebuts de la société. En démontrant que de l’infiniment petit à l’infiniment grand, toute organisation sociale reproduit les mêmes travers, Twain livre une critique acerbe de la société. Dans ce roman qu’il a pourtant refusé de publier de son vivant, l’humour dans lequel il excelle prend des dimensions politiques, mais surtout philosophiques. Obsédé par la question de la place des animaux au paradis, son microbe, en temps que scientifique humaniste, réhabilite son espèce dans le cycle de la vie et démontre que chaque créature a son rôle dans la nature. Grâce aux bactéries, toute matière se transforme et recrée de la vie. L’homme aurait donc autant besoin du microbe, que le microbe de l’homme. C’est dans ce discours presque écologique que le roman de Twain révèle ses incohérences. Les microbes qui ne connaissent pas l’homme et qui n’ont pas conscience qu’il peut exister un autre monde que la planète Blitzowski, semblent pourtant savoir ce qu’est une vache ou un mouton. Souvenons-nous que le texte est resté inachevé et laissons à Twain le bénéfice du doute sur ces inexactitudes. Mieux, prenons-les comme un charme supplémentaire.