Littérature étrangère

Isaka Kôtarô

Pierrot-la-gravité

illustration
photo libraire

Chronique de Géraldine Violet

Pigiste ()

Des incendies étranges, des tags sibyllins, un frère qui ne tourne plus très rond, un autre un peu trop timoré et anxieux, et un père complice. Ou comment un chemin initiatique aux allures d’enquête policière révèle à la longue tourments et sentiments. Drôle et émouvant.

Ils sont trois. Deux frères d’une petite trentaine d’années, complices depuis l’enfance, et leur père cloué au lit dans sa chambre d’hôpital par un cancer. C’est une famille soudée où on rit beaucoup, on parle, on se taquine, on se soutient. Bien sûr la mère, radieuse et aimante, n’est plus là, décédée des suites d’une longue maladie il y a quelques années déjà. Izumi est l’aîné ; il travaille dans une entreprise privée spécialisée dans la génétique. Haru gagne sa vie en débarrassant les murs des tags. Ils sont demi-frères en fait, puisque lorsque Izumi était petit, sa mère s’est fait violer. Mais contre toute attente, le couple uni a décidé de garder l’enfant et de ne jamais faire de différence entre leurs deux fils. Les années ont passé et Haru, qui a toujours été très attaché à son aîné, est un peu spécial. Quoique brillant, il a quelques lubies, quelques obsessions parfois très marquées, qui ne l’empêchent toutefois pas de mener une vie plutôt normale. Or, depuis quelque temps, de mystérieux incendies se succèdent à différents endroits de la ville, dans des immeubles, des entreprises, des arrière-cours. La famille se passionne pour l’affaire, Haru en tête. Mais lorsque Izumi découvre que les lieux incendiés sont marqués de tags du même style, il se met à soupçonner son petit frère. Et plus encore quand il découvre qu’un code se cacherait derrière ces actes apparemment isolés, un code qui aurait quelque chose à voir avec la génétique...

Malgré ses airs de roman policier, le récit se rapproche davantage de la chronique familiale. à partir d’un fait divers un peu farfelu où chacun se met à douter de soi et des apparences, où les fausses pistes égarent le lecteur, l’auteur s’intéresse avant tout à l’amour fraternel – bien plus qu’à son enquête un peu foldingue – et aux blessures de l’enfance, de celles qui laissent des cicatrices et conduisent parfois à se faire justice soi-même pour s’en sortir. Un roman plein de fraîcheur, de fantaisie, de profondeur aussi, l’air de rien, bourré de clins d’œil littéraires et cinématographiques. Un beau duo joyeux et grave dans lequel finissent par se rejoindre les deux frères. Et la gravité dans tout ça ? C’est une figure insistante venue de l’enfance – peut-être fantasmée – d’un Pierrot lunaire qui, au cirque, ne tomba pas de son trapèze, parce que heureux, il n’était pas soumis à la gravité. Cette phrase prononcée par la mère vient sans cesse bercer ses enfants devenus grands.