Littérature étrangère

Antal Szerb

Oliver VII

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photo libraire

Chronique de Géraldine Violet

Pigiste ()

Un roi qui ne veut plus être roi délaisse le pouvoir et part en voyage sur la Lagune… afin d’apprendre à se connaître. Ce texte, écrit juste avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale, se présente comme une réflexion malicieuse et enjouée sur l’exercice du pouvoir dans une période de troubles.

En Alturie, petit royaume d’Europe centrale aux airs de Hongrie bariolée à la sauce prussienne, Oliver VII, le souverain-roi, a fomenté un complot contre lui-même afin de prendre la poudre d’escampette et de découvrir cette vraie vie dont il a le sentiment d’être privée. « Tout n’est qu’illusion » est une phrase-clé de ce roman hongrois. Oui, ici on fait dans la démesure, les personnages ont des allures de marionnettes et le lecteur a l’impression d’assister à une farce aux accents d’opérette légère, très légère, où tout virevolte, se fait et se défait à la vitesse de l’éclair. Mais sous ses dehors attrayants, le propos est plus profond qu’il n’y paraît. Oliver VII, roi de pacotille dans son décor de carton-pâte, a mis en place une ingénieuse machination visant à se destituer lui-même pour gagner Venise, la ville bonbonnière, et goûter enfin à la condition d’anonyme et d’homme du peuple. Il se cache dans la Sérénissime sous le pseudonyme d’Oscar, faisant courir le bruit en Alturie qu’on a vu le roi déchu vagabonder en bras de chemise à Kansas City. Il y fait des rencontres, découvre le monde et la vraie vie, se fait passer pour un filou à la petite semaine, s’encanaille doucement auprès de vrais escrocs et se retrouve finalement au cœur d’un complot visant à le faire passer (évidemment) pour Oliver VII… afin de rafler quelques kopecks. Rattrapé par sa véritable identité, il assume enfin son propre rôle et retourne en Alturie, car « il faut des pêcheurs comme il faut des rois ».

À la veille de la seconde guerre mondiale, date de la rédaction de ce roman d’Antal Szerb, quelle ironie, quelle fraîcheur, quelle audace aussi de composer une œuvre qui se moque à ce point de l’exercice du pouvoir et donne à voir un puissant qui préfère de loin se carapater plutôt que d’exercer un rôle qu’il dédaigne, et qui, lorsqu’il se sent enfin prêt à relever le défi, se fait le chantre de la paix pour diriger un royaume où le peuple se définit par son autodétermination (beau paradoxe, belle utopie). Comme cet écrit résonne étrangement dans le contexte brûlant d’une Europe gangrenée par la montée des fascismes. Un roman savoureux, profond et pétillant à la fois.