Jeunesse

Patrick Ness

Libération

GO

✒ Gwendal Oulés

(Librairie Récréalivres, Le Mans)

Depuis la parution de la trilogie du Chaos en marche et de son premier tome La Voix du couteau (Gallimard Jeunesse, 2009), Patrick Ness a continué de définir, aux marges de la littérature jeunesse, une œuvre singulière où il confronte de façon toujours étonnante réalisme psychologique et débordements fantastiques ou science-fictionnels.

Avec Libération, son nouveau roman traduit, le lecteur du remarquable Nous autres simples mortels (Gallimard Jeunesse, 2016) devrait se trouver en terrain familier. L’auteur orchestre à nouveau la collision entre deux univers radicalement distincts l’espace d’une journée d’été, sous la forme d’un hommage à Mrs Dalloway de Virginia Woolf. D’abord celui d’Adam Thorn, un jeune homme de 17 ans, de sa course matinale à une soirée d’adieu en passant par sa journée de travail, ses rendez-vous amicaux ou amoureux. Ensuite celui de Kate, jeune droguée assassinée par son petit ami, ici ressuscitée et investie par l’esprit de La Reine, entité païenne accompagnée d’un faune protecteur. Les deux trajectoires semblent d’abord emprunter deux chemins parallèles et les deux univers se superposer de façon indépendante. Adam Thorn comme Kate vont devoir tous les deux mettre à l’épreuve les liens qui les lient ou les ont liés à leur famille, leurs amis et leurs amours : deux parcours inversés au sein d’une même journée dans la même ville de Frome de l’État de Washington. Comme dans Nous autres simples mortels la dimension fantastique se propose comme une lecture alternative de l’histoire, ici une sorte de revers mythologique. L’expérience est étonnante : le lecteur semble doté d’une double vision conférant au réel une étrangeté parfois inquiétante et à l’irréel une familiarité troublante. L’escapade vengeresse de Kate, revenue du fond du lac où elle a été noyée, donne lieu à son lot de scènes marquantes où le tragique se mêle au grotesque dans un équilibre miraculeux. Mais surtout avec Libération, Patrick Ness écrit peut-être son texte le plus personnel en déplaçant au premier plan un motif jusque-là resté en marge, celui de l’homosexualité. Le roman dresse le portrait complexe et attachant d’un garçon qui doit lutter au sein d’une famille d’évangélistes extrêmement rigoristes pour faire entendre sa différence. C’est dans ses dialogues que l’auteur est probablement le plus brillant. Les échanges entre Adam Thorn et son frère Marty, son père, Angela sa meilleure amie et son amant Linus sonnent toujours juste avec une finesse parfois cruelle qui épargne tous les personnages de la caricature. Libération réserve deux grands moments d’ambivalence. Une très belle scène d’amour charnel (relativement explicite) entre Linus et Adam où ce dernier s’interroge sur sa sincérité. Une autre assez bouleversante qui voit Adam tester les limites de l’amour que son père lui porte. À chaque fois, nous sommes à mille lieux des conventions romanesques qui prévalent dans la représentation de l’adolescence car l’auteur ne renonce jamais à la complexité. Adam a ses épines comme la rose qu’il mettra tant de temps à offrir. Le voir grandir, aimer et souffrir le temps de cette journée d’été est une vraie expérience de lecture, l’occasion peut-être aussi de découvrir l’univers d’un des auteurs les plus marquants de la littérature ado.

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