Littérature étrangère

Carlos Ruiz Zafon

Le Labyrinthe des esprits

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photo libraire

Chronique de Gabriel Pflieger

Librairie Vivement dimanche - La Benjamine (Lyon)

Le dernier opus de Carlos Ruiz Zafón vient clore en beauté le cycle du Cimetière des livres oubliés. Il est important de préciser que les quatre livres qui composent cette saga – L’Ombre du vent, Le Jeu de l’ange, Le Prisonnier du ciel et Le Labyrinthe des esprits – peuvent se lire de manière indépendante.

Avec une maîtrise de la narration exceptionnelle, Carlos Ruiz Zafón nous emmène dans une Barcelone gothique et mystérieuse, pendant les années de plomb du franquisme. Il entremêle habillement la réalité et la fiction pour créer un univers riche et complexe dans lequel on a un très grand plaisir à s’immerger. L’histoire se déroule sur plus de cinquante ans, avec des changements d’époques et des dizaines de personnages dont les voix s’entremêlent sans que l’on ne soit jamais perdu. La ville de Barcelone occupe une place centrale dans toute l’œuvre de l’auteur et elle apparaît à la fois de façon très réaliste et en même temps fantasmée et sublimée par un imaginaire onirique. Le fil rouge du livre est une enquête sur la disparition du ministre de la culture Don Mauricio Valls. L’enquête est menée par un personnage fascinant : Alicia Gris. C’est une jeune enquêtrice de la police politique qui est elle-même manipulée par son supérieur, le ténébreux Leandro. L’une des grandes forces de Carlos Ruiz Zafón est de savoir créer des personnages complexes et tout en nuances. Alicia Gris est une femme forte mais handicapée physiquement par une veille blessure à la hanche. Elle peut être cruelle et pourtant on s’attache à elle. Et il en est de même pour chacun des personnages de ce livre. On retrouve avec un grand plaisir le libraire Daniel Sempere, héros de L’Ombre du vent, ainsi que Fermín Romero de Torres et sa délicieuse faconde verbale. Mais Carlos Ruiz Zafón excelle aussi à créer des personnages détestables, comme chaque dictature sait en faire naître. Il peint une vaste fresque en revisitant l’Histoire nationale et en faisant un travail de mémoire salutaire. Il nous montre la dérive autoritaire du régime franquiste et il fait ressortir des oubliettes certains faits divers que la mémoire collective avait occultés pendant des décennies. Cette fresque virtuose de 850 pages se dévore. Les situations les plus difficiles sont désamorcées par une écriture très maîtrisée et un humour qui tombe toujours à propos. On mesure avec ce dernier livre l’ambition et la complexité du projet narratif de Carlos Ruiz Zafón et l’on ne peut que rester admiratif devant ce monument gothique et moderne. Pour filer la métaphore avec la ville de Barcelone, on pourrait dire que l’auteur vient d’achever sa Sagrada Família, c’est-à-dire un œuvre singulière dont on ne peut apprécier toutes les subtilités en un seul coup d’œil. C’est avec du temps et en multipliant les ponts narratifs et thématiques que Carlos Ruiz Zafón fait apparaître un vaste édifice, unique ! Le cycle du Cimetière des livres oubliés se clôt sur une belle réflexion autour du pourvoir de la littérature et la manière dont elle nous aide à vivre et à résister à l’oppression. Les livres nous aident à grandir comme l’illustre la belle couverture du livre nous montrant un enfant émerveillé devant une vitrine de librairie. Raconter une histoire permet aussi de s’en délivrer et c’est ce qu’a fait Carlos Ruiz Zafón avec l’Histoire de son pays.