Bande dessinée
Luz
Deux Filles nues
-
Luz
Deux Filles nues
Albin Michel
02/10/2024
196 pages, 24,90 €
-
Chronique de
Élise Hardt-Rillard
Librairie Librairie-café Le Tagarin (Binic-Étables-sur-Mer) -
❤ Lu et conseillé par
9 libraire(s)
- Marlène Davezac de Esplanade des mots (Pibrac)
- Stéphane Quero de La Librairie Le BHV Marais (Paris Cedex 4)
- Laurie Picaud de Charlemagne La Seyne (La Seyne-sur-Mer)
- Igor Kovaltchouk de Actes Sud (Arles)
- Juliet Romeo de La Madeleine (Lyon)
- Tracy Pradalier de Germaine Tillion (Paris)
- Caroline Gelly de Le Chat borgne (Belfort)
- Thibault Delacoure de Richer (Angers)
- Anaëlle Libérati de Pescalune (Paris)
✒ Élise Hardt-Rillard
(Librairie Librairie-café Le Tagarin, Binic-Étables-sur-Mer)
Avec ce nouveau roman graphique, Luz nous offre une charge lumineuse contre la bêtise humaine en offrant au passage une magnifique leçon d’Histoire doublée d’une flamboyante déclaration d’amour à l’art. Lorsqu’un tableau devient le témoin d’une des plus sombres périodes de l’Europe contemporaine.
En 1919, Otto Muller, célèbre peintre allemand, réalise le portrait de deux gitanes à demi-nues en prenant pour modèle sa muse, Maria « Maschka » Meyerdofer. À la mort de l’artiste, ce tableau va passer aux mains d’Ismar Littman, banquier d’origine juive et grand collectionneur d’art, tandis que la peste brune commence à gangrener l’Allemagne avant de s’étendre dans toute l’Europe. Après le suicide de son propriétaire, le tableau va tomber dans les mains des nazis qui décident d’en faire un cas d’école de ce qu’ils considèrent comme « l’art dégénéré ». Il sera néanmoins sauvé de la destruction par des marchands d’art avant de retrouver, plus de quarante ans après la Seconde Guerre mondiale, le chemin de ses premiers propriétaires, la famille Litterman qui en fera don au Musée de Cologne où il est encore exposé de nos jours. Au travers de cette histoire pleine de bruit et de fureur, Luz nous offre une nouvelle fois une démonstration flamboyante de son talent, en offrant au lecteur un point de vue tout à fait original : en effet, ce roman graphique est raconté du point de vue du tableau, des premières esquisses de sa création jusqu’à son exposition contemporaine. Devant lui défile toute une galerie de personnages, des plus vils aux plus héroïques, des défenseurs de l’art aux obsédés de la race aryenne, des petites gens aux hauts dignitaires nazis. Toutes les vanités humaines se présentent à lui, chacun l’observe, chacun le jauge. De son côté, que ce soit encadrée sur un mur ou cachée par des panneaux de bois, cette peinture demeure inchangée et imperméable aux vicissitudes humaines. Certaines pages sont flamboyantes, d’autres très sombres, certaines tronquées car le tableau a été longtemps caché dans des remises. Luz s’amuse ainsi à multiplier les angles de vue, sans jamais nous perdre au passage. Le glossaire de la fin de l’ouvrage s’avère tout de même bienvenu pour remettre les événements et les différents protagonistes dans leur contexte. Après sa charge contre la masculinité avec Testosterror, l’auteur nous gratifie aujourd’hui d’une formidable leçon d’Histoire, tout en offrant un réquisitoire mordant contre l’obscurantisme. Dans les dernières pages très touchantes, Luz nous livre toutefois une véritable déclaration d’amour à l’art grâce au regard curieux d’un petit garçon dans l’Allemagne nazi qui redécouvre le tableau soixante ans plus tard. À travers le regard émerveillé du vieil homme, l’auteur nous rappelle une chose essentielle : la barbarie passe, la beauté reste.