Au nom de la mafia

Après avoir lu Bilal sur la route des clandestins (Liana Levi), enquête essentielle menée dans les réseaux de l’immigration clandestine venue d’Afrique, le lecteur ne s’attend pas forcément à suivre le journaliste Fabrizio Gatti sur un sujet apparemment aussi exploré que celui de la mafia, surtout de la part d’un Italien. Saviano n’a-t-il pas tout dit avec Gomorra (Folio) ? Le lecteur, même attentif à toute révélation sur l’univers impitoyable des mafiosi, ira-t-il vers un énième reportage sur le thème ? Pourtant, il faut lire Au nom de la mafia, car Fabrizio Gatti est un reporter à nul autre pareil. Son talent ne tient pas seulement à la qualité de son investigation, à sa ténacité, à son astuce et à sa connaissance de la société. Il pose un regard d’autant plus humaniste qu’il est sans concessions, d’une immense acuité sans cesse ponctuée de générosité. Ce ne sont pas les arcanes fascinants du pouvoir occulte des truands en costume qui l’intéressent, c’est l’humain, la vie des hommes telle qu’elle est broyée par d’autres hommes. Ce qui les motive, ce qui les anime, les traverse, les malmène, victimes et bourreaux, que sont tout à la fois les hommes et femmes pris dans l’Organisation qui défie tout État, toute justice. À travers l’histoire emblématique de Rocco, une vie entière de faiblesse, de courage, de souffrance et de désinvolture tour à tour mêlés, se révèle. Et si l’Italie est un décor privilégié, on sent bien qu’ailleurs aussi les mêmes mécanismes sont à l’œuvre. Cette brillante démonstration décortique ce qui se joue au sein d’une société aux prises avec la mafia. Pour ce faire, Fabrizio Gatti n’hésite pas à emprunter des voies littéraires inattendues, puisant dans la fiction une écriture alerte et vivace.