Essais

Roberto Casati

Lire et apprendre à lire en toute liberté, là est la question

ND

Entretien par Natacha De La Simone

(Librairie L'Atelier, Paris)

En philosophie comme au quotidien, Roberto Casati est un pragmatique. C’est en effet avec pragmatisme qu’il aborde la question du numérique et qu’il défend sa conviction : on n’a rien inventé de mieux depuis des lustres que le livre papier pour déployer la pensée.

Attention, Roberto Casati n’est pas contre le numérique. Il en fait sans cesse usage en tant qu’enseignant et chercheur. Mais il est nécessaire selon lui de le faire avec discernement et de réfléchir avant de laisser les nouvelles technologies s’imposer pour de mauvaises raisons et de façon inappropriée. Pour utiliser une image, l’idée serait en fait de canaliser et contenir un fleuve puissant et débordant (le numérique) afin de faire judicieusement bénéficier des bienfaits de l’eau toutes les terres limitrophes (la lecture et l’école), sans les inonder et leur être finalement nuisible. Roberto Casati tient à ce que la lecture et l’école continuent à faire fructifier la pensée des hommes. Cela suppose, entre autres, de tenir à distance les géants des nouvelles technologies qui cherchent à imposer leurs trouvailles et à en tirer profit, et de défendre un cadre protégé propice à l’apprentissage de la lecture. Roberto Casati ne manque pas d’humour et sait ponctuer ses démonstrations de considérations concrètes non dénuées de sel.

 

Page — Les termes de votre titre ne sont pas anodins. Le mot « colonialisme » donne au livre une orientation résolument polémique.
Roberto Casati — l’idée de ce titre est venue, après un long parcours, de ma lecture de l’essai d’Alain Lipietz Green Deal : la crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste (La Découverte). L’auteur cite un texte d’Henri Lefebvre (Critique de la vie quotidienne, volume 1 et 2, L’Arche) qui étudie un certain nombre d’objets devenus indispensables – du moins, le lui fait-on croire – à l’homme contemporain. Lefebvre développe l’hypothèse selon laquelle le capitalisme n’ayant plus de territoires à conquérir, il se faufile dans tous les recoins disponibles qui subsistent, des « micro-poches » de vie à accaparer. Ce qui correspond parfaitement à mon propre questionnement sur la colonisation numérique du quotidien. Je ne porte pas sur ce phénomène un regard moraliste. Je cherche à décrire le phénomène, à décrire comment chaque seconde de notre quotidien devient la proie du colonialisme numérique.

 

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