Littérature française

Cécile Coulon

Bienvenue au Paradis

Entretien par Delphine Bouillo

(Librairie M'Lire, Laval)

Avec Une bête au paradis, Cécile Coulon signe l’un des plus beaux et des plus forts textes de la rentrée. Puissant et hypnotique, il nous plonge dans l’histoire d’une lignée de femmes envoûtées par ce qu’elles ont de plus précieux : leur terre.

Le Paradis, c’est le nom de la propriété qui sert de décor au nouveau roman de Cécile Coulon. Le Paradis est un lieu enchanteur parce que magnifique, qui sent bon le foin et le grain. Il est en quelque sorte ensorceleur. Un paradis dont on ne sort jamais. C’est dans cette ferme du Limousin que notre héroïne, Blanche, a grandi entourée de vaches, de cochons, de poules. Au milieu des champs, elle apprend les choses de la vie. Adolescente, elle rencontre son grand amour, Alexandre. Mais quand ce dernier décide de partir en ville, Blanche ne se résout pas à le suivre. Sa place est au Paradis, parmi les siens, parmi ses terres. Ces terres les font vivre, survivre depuis tant d’années. L’amour d’un homme ne peut égaler l’amour des terres. Mais cette décision rongera éternellement Blanche. Et c’est ce que l’on va découvrir en remontant le fil de l’histoire de ce lieu qui ausculte la vie, l’amour, la fuite, la jalousie, la violence. Ce roman est une histoire d’amour, de femmes, de liberté et de vengeance. Il est une bombe à retardement qui vous explosera entre les mains et vous laissera subjugué par sa puissance narrative et poétique.

 

PAGE — Ce texte s’inscrit dans un huis clos où tous les personnages évoluent au sein de la ferme et nous donnent à lire plusieurs histoires. Comment s’articulent ces différentes histoires qui ont toutes un lien avec ce terroir ?
Cécile Coulon — Il se trouve que pour moi l’écriture de ce livre – ce que je n’avais jamais fait auparavant –, parle du corps, du corps des femmes, de la sensualité, de la sexualité et de la férocité de cette sexualité, de l’amour de Blanche pour Alexandre et pour ses terres. Il me semble que Blanche est complètement déchirée entre ces deux amours, que cela la dévore, que cela l’emporte. À un moment donné, quand Alexandre choisit de s’en aller alors qu’elle décide de rester sur cette ferme qu’elle adore, il y a cette folie furieuse qui s’empare d’elle. Elle se demande ce que représente son amour pour Alexandre face à l’amour qu’elle porte à cette terre. Je crois que c’était la grande question du livre. Et il y a évidemment le rôle du corps de Blanche au milieu d’une ferme. Tout le monde se fiche du corps de Blanche car ce qui compte, c’est le corps des animaux. Pour moi, le grand défi était d’écrire à la fois sur le sang et la terre.

P. — Le personnage de Blanche est un personnage très ambigu.
C. C. — Au fur et à mesure du roman, Blanche est une jeune fille, une femme puis une vieille dame non pas ambitieuse mais très sûre d’elle. Elle sait ce qu’elle doit faire depuis son plus jeune âge. Elle doit tenir les rênes du Paradis. Mais quand Alexandre arrive, elle sait qu’elle doit l’aimer, qu’elle ne peut pas contourner cet amour. J’ai adoré écrire ce personnage, c’est la première fois qu’un personnage féminin est mon héroïne. C’était vraiment un défi énorme car je savais qu’en parlant de Blanche, je serais obligée d’une façon ou d’une autre de parler un peu de moi – ce qui me faisait terriblement peur – et aussi je me suis dit que si ce livre était pour moi le plus important pour tout un tas de raisons, si c’est une héroïne, si c’est Blanche, il faut qu’elle aille au bout d’elle-même, au bout de sa liberté, au bout de ses paradoxes. Il faut qu’elle soit féroce, cruelle. Il n’est pas possible d’avoir une once de bienveillance ou de bons sentiments. C’est un personnage entier, entièrement dévoué à ses sentiments, à cette fameuse liberté paradoxale et au Paradis.

P. — Comment avez-vous travaillé votre style narratif ?
C. C. — Tout d’abord, j’ai travaillé seule, sans éditeur. Après douze années, je me retrouvais comme au début, comme à seize ans, toute seule. Je me suis dit que soit j’allais au bout de mon idée, au bout de mon écriture, soit j’arrêtais d’écrire. J’ai commencé à écrire ce texte et je me suis demandé ce qui, en tant que lectrice, me donnait envie de lire, me transportait. Il fallait que je change de place, que je me mette à la place du lecteur. J’avais mon idée mais il fallait une écriture qui aille avec. Il a donc fallu que je déconstruise tout ce que j’avais appris auparavant, pour resserrer l’écriture, la muscler. Ce qui était vraiment important était de prendre le lecteur non pas par la main mais par le col et lui dire « regarde ce qui se passe dans cette ferme ». J’ai aussi une énorme formation cinématographique ce qui fait que certaines scènes sont très visuelles. Les films de Claude Chabrol m’ont nourrie pour ce texte.

P. — Chaque chapitre porte en titre un verbe non conjugué. Qu’est-ce que cela signifie ?
C. C. — Auparavant, je ne titrais jamais mes chapitres et je me suis rendu compte, encore une fois qu’en tant que lectrice, j’aimais cela. Le fait d’utiliser des verbes vient des Ronces (recueil de poésie écrit en 2018 et publié au Castor Astral). Cela permet de rendre le texte plus fort, plus brutal et de jouer avec le lecteur, c’est-à-dire lui annoncer ce qu’il va se passer et, en même temps, lui faire croire qu’il va se passer quelque chose qui n’arrivera pas.

P. — Comme dans les précédents romans, il n’y a aucun indice temporel ou géographiques. Pourquoi ce parti pris ?
C. C. — La ferme qui a servi de décor à ce roman existe. C’est une ferme en Corrèze qui appartenait à ma famille maternelle. C’est un endroit où j’ai passé énormément de temps, où j’ai appris plein de choses – à pêcher, par exemple, dans tous les sens du terme (rires). Un seul marqueur temporel permet de dire que cette histoire ne se passe pas au xixe siècle : il est mentionné que le collège est mixte. Cette absence de marqueurs me tient à cœur car je veux que mes histoires deviennent aussi des contes.

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