C’est l’histoire d’un certain lapin nommé Jacominus Gainsborough. L’histoire d’un personnage qui se transforme, s’affirme au fil des années ; l’histoire d’un être dont les événements – discrets comme marquants – ont façonné la personnalité. Les Riches Heures de Jacominus Gainsborough est le kaléidoscope d’une vie entière, défilant au gré des saisons, de l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Qu’elle soit marquée de peines et d’épreuves, cette vie est aussi faite d’amour et de grandes joies. C’est une vie pleine, rythmée, sans regrets et toujours bien entourée. Rébecca Dautremer signe une rétrospective universelle et intemporelle, d’une beauté prodigieuse, qui saura émouvoir toute la famille.
PAGE — Comment l’histoire de Jacominus Gainsborough a-t-elle germé dans votre esprit ? Est-ce une idée de longue date ?
Rébecca Dautremer – Ce dont j’avais envie depuis longtemps était de revenir à des albums plus généreux pour les enfants. Je me suis toujours souciée d’une lecture possible à tous les âges et j’ai la chance que mes albums soient aussi lus et collectionnés par de nombreux adultes, mais je crois que le succès auprès de ce lectorat m’avait peut-être un peu éloignée de celui des plus petits. J’ai donc voulu leur rendre la première loge. Et j’ai par conséquent choisi de travailler avec des animaux comme personnages ; mais les éléments de la vie de mon héros sont apparus au cours de l’écriture. La vie de Jacominus s’est construite un peu d’elle-même.
P. — Votre univers possède une empreinte vintage qui évoque notamment Pierre Lapin de Beatrix Potter. (On remarque d’ailleurs que la grand-mère de Jacominus porte ce prénom.) Est-ce pour vous une source d’inspiration directe ? Une réminiscence de votre enfance ?
R. D. – Oui, je voulais délibérément faire ce clin d’œil à Beatrix Potter dont j’admire le travail. C’est une grande dessinatrice et aquarelliste. Et j’ai toujours aimé la douceur du monde qu’elle propose dans celui de Peter Rabbit, sans tomber dans la mièvrerie. Par ailleurs, elle est aussi un modèle à suivre comme illustratrice. Je la vois en artiste de caractère qui a su développer un univers et vivre de son métier à une époque où on ne lui laissait sans doute pas beaucoup de place pour le faire en tant que femme. Pour ce qui est du côté vintage, je l’avoue, je prends plus de plaisir à dessiner des bottines et des manteaux à col de fourrure que des survêtements et des tee-shirts ! Cela dit, cherchez bien, je crois que sous leurs pantalons de golf certains de mes personnages portent des Converses. À dire vrai je me situe toujours dans une époque assez floue, tintée de nostalgie certes, mais mixte dans les détails.
P. — Comment s’est déroulée la réalisation de cet album ? Avez-vous commencé par la rédaction du texte ou les images vous sont-elles apparues en premier lieu ?
R. D. – J’étais décidée à évoquer une vie entière. Je souhaitais le faire en douze grands tableaux, moments décisifs du parcours de mon héros. Je souhaitais initialement donner l’essentiel à lire dans les détails de l’image et le texte était plus concis au départ. Il s’est étoffé au fil du temps. J’ai eu envie d’en raconter plus, alors j’ai illustré davantage. Bref, ce livre m’a demandé deux ans de travail au lieu d’une année prévue, mais je ne le regrette pas !
P. — Le grand format de l’album (29 x 33,2 cm) rappelle votre ouvrage précédent, Le Bois dormait, également publié chez Sarbacane. Vous sentez-vous plus à l’aise pour créer dans un format « géant » ?
R. D. – J’ai toujours aimé, enfant comme adulte, pouvoir passer du temps sur un tableau fourmillant de détails pour me plonger dans un monde parallèle et m’extraire complètement de la réalité. Une grande scène peinte est une invitation au voyage. C’est ce que je souhaite pouvoir proposer à mon tour et il m’est techniquement plus facile de travailler le détail sur des grands formats.
P. — Votre technique de dessin s’est nettement affinée au fil de vos albums. Les couleurs sont éclatantes et d’une extrême précision. Comment ressentez-vous cette évolution, cette affirmation ? Pouvez-vous nous dire un petit mot sur vos astuces de peinture ?
R. D. – Les détails et la finesse du dessin s’enrichissent au cours du temps, sans doute, mais la technique ne change pas. Je travaille toujours à la gouache et au pinceau sur du papier aquarelle, comme depuis mes débuts. Seules les heures de travail se multiplient ! Je consacre aujourd’hui plus de temps à la conception de mes images, dessins préparatoires, esquisses colorées pour mettre au point les harmonies et la lumière. Je ne m’autorise à réaliser une illustration qu’au moment où je sais exactement où je vais.
P. — Cette fois-ci, vos protagonistes sont des animaux. Que représentent-ils pour vous ?
R. D. – Dans Jacominus, les personnages sont des animaux mais je n’y fais jamais allusion dans le texte. Ils ont une vie et des émotions d’homme. Cela offre un peu de recul pour le lecteur quand j’aborde des sujets plus graves. Si j’osais la référence, je parlerais de La bête est morte de Calvo (Gallimard), magnifique. J’ai en outre un grand plaisir à dessiner les animaux : les formes et les textures sont tellement variées ! C’est vraiment amusant.