Littérature française

Gérard Mordillat

La lutte continue

Entretien par Marie Michaud

(Librairie Gibert Joseph, Poitiers)

Hier, le démantèlement d’une usine, aujourd’hui la course à la rentabilité au mépris de l’humain. En renouant avec les personnages de son grand roman Les Vivants et les Morts, Gérard Mordillat met en lumière l’évolution du monde du travail mais aussi l’irréductibilité et la solidarité de l’esprit de combat.

Dans Les Vivants et les Morts, vingt ans plus tard, on retrouve Dallas et Rudy, les personnages principaux des Vivants et les Morts, qui sont obligés de revenir à Raussel, la ville de leur jeunesse. Pourquoi avez-vous eu envie de raconter la suite de l’histoire de ces personnages ?

Gérard Mordillat J'avais commencé un roman mais je n'avais pas de fin pour ce livre. En discutant avec un ami, il me dit : « Je pense que tu ne devrais pas faire ça, je pense que tu devrais faire Alexandre Dumas. » Je lui dis : « Tu veux que je fasse une bio de Dumas ? » Il me répond : « Non, tu devrais faire Les Vivants et les Morts, vingt ans après. » Ça a été une évidence pour moi. Tant de choses s'étaient transformées en vingt ans que j'ai su immédiatement ce que je devais écrire. D'autant que les personnages de ce roman avaient continué de vivre à travers une série pour la télévision, une version musicale ou des lectures du texte, notamment lors d’occupations d'usines. Donc c'était une évidence : ils ne m'avaient pas quitté, ils faisaient partie de ma vie et ils avaient vingt ans de plus.

 

Justement, pourriez-vous nous parler un peu de Dallas et Rudy ?

G. M. Dallas est pour moi, depuis toujours, le personnage principal de cette histoire. Dallas est une très jolie jeune fille et donc on pense qu'elle est idiote. Mais, au fil de l’histoire, c'est elle qui va s'avérer la plus endurante, la plus combative et la plus lucide. Son mari Rudy est un enfant adopté qui a toujours eu le sentiment de devoir se battre. Mais leur couple fonctionne parce qu’ils se retrouvent toujours sur un point : la nécessité de transformer le monde, de ne pas accepter le sort qui leur est fait, de se battre pour leur amour.

 

Que va retrouver Dallas à Raussel ?

G. M. Quand Dallas revient à Raussel, évidemment, il n'y a plus beaucoup de gens qu'elle connaît mais il reste une copine d'école qui dirige une chorale, qui va renouer avec elle, une ancienne journaliste qui avait suivi la première grève, qui va venir la rejoindre... Dans ce livre, les personnages féminins ont un rôle absolument déterminant. Dallas est une héroïne mais elle n'est pas seule. Elle est avec ces autres femmes qui, en dehors des organisations, des syndicats et des partis politiques, vont s'organiser et résister ensemble.

 

C’est aussi un roman sur les nouvelles formes d'exploitation par le travail.

G. M. Oui, parce que, sur la plateforme où Dallas est obligée de travailler, elle est une sorte de robot amélioré. Une autre femme qui est infirmière lutte contre les conditions de travail imposées au personnel soignant. La désyndicalisation fait que les solidarités qui existaient vingt ans plus tôt se reforment autrement, en dehors de toute structure établie. Et du côté de Rudy, il est d'abord chauffeur routier mais il n'accepte pas de devenir auto-entrepreneur. Alors il va devenir garçon de café puis plongeur dans un restaurant. C’est aussi ce phénomène de dégradation complète qui m’intéressait : au départ, on avait un métier, après, on a eu un emploi et, au bout du compte, on a un job. C'est-à-dire quelque chose où personne ne reconnaît ni le talent ni l'intelligence, quelque chose à exécuter pour survivre.

 

On le comprend, ce livre est profondément politique. En quoi est-ce si important pour vous d’en faire un sujet du roman ?

G. M. Un peu partout en France mais aussi dans le monde, on voit la renaissance très claire du fascisme et du nazisme. Dans une ville comme Raussel, où il y a eu tant d'emplois de perdus, il n'y a pas seulement la mairie devenue RN, il y a aussi des activistes qui veulent provoquer le chaos en se disant que la réponse sera la mise en place d'un système ouvertement autoritaire. Alors, bien sûr, le livre est politique parce qu'il parle de la situation sociale, économique, affective qui existe en France aujourd'hui mais il est aussi politique parce que ce sont les femmes qui mènent le combat qui permettra peut-être d’atteindre ce qui paraît inatteignable aux partis politiques de gauche et aux syndicats. Justement parce que la conscience de l'oppression que subissent les femmes est plus forte que la conscience de toutes les autres oppressions. En tant qu'oppressées majeures, elles sont plus déterminées et justement plus endurantes que tous les autres.

 

 

Nul besoin d’avoir lu Les Vivants et les Morts il y a vingt ans pour apprécier le nouveau roman de Gérard Mordillat. En effet, si on y retrouve différents personnages du roman, les difficultés de la vie les ont rendus comme étrangers à eux-mêmes. Alors, quand Dallas revient dans la ville de sa jeunesse, elle sait qu’elle va devoir se confronter aux fantômes du passé. Employée d’une plateforme logistique de commerce en ligne, elle s’acharne à faire découvrir la vérité de cette nouvelle aliénation professionnelle de l’intérieur. Mais différents drames vont réveiller son esprit de lutte et, avec des sœurs d’élection, elle va s’engager dans un combat où se joue pour elle bien plus que la perte de son emploi.

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