Tous les silences ne font pas le même bruit n’est pas tout à fait un roman mais plutôt un manifeste. Avez-vous abordé son écriture différemment que pour vos autres textes ?
Baptiste Beaulieu Pas vraiment. Pour tout vous dire, je serais incapable d’écrire sans la joie. La joie chez moi est préexistante à l’acte d’écrire. Si le bonheur d’écrire est là, alors j’écris sans me poser la question de savoir si cela sera un roman, des poèmes, un récit ou un manifeste. Je peux promettre cela aux lecteurs : cette authenticité-là est consubstantielle à l’écriture. Je ne m’empêche rien, je ne me retiens de rien. J’écoute seulement la joie.
On perçoit beaucoup de colère à travers vos lignes. Est-ce qu’écrire ce texte répond à un besoin ? Est-ce que c’est un projet qui a mis du temps à voir le jour ou a-t-il été une évidence ?
B. B. Cet essai est un aboutissement, celui d’une pensée et d’une histoire. Je donnerais tous mes écrits pour celui-ci et s’il est habituel de douter – le doute est inhérent à l’acte d’écrire –, je ne doute pas de ce livre-là. Il faut un échafaudage pour construire un immeuble. Mes précédents livres étaient l’échafaudage. Ils ont rendu celui-ci possible. J’espère que les lecteurs trouveront l’immeuble à la hauteur. Ce livre est bien plus important que moi. Surtout en ce moment. Pour redonner une voix aux personnes qui se taisent et que l’injustice des Hommes pousse au silence. Écrire, c’est entrer en résistance, une manière de dire NON, de l’imprimer cent mille fois et de le placarder publiquement. Lire, c’est cultiver la révolte des autres en soi et, par eux, trouver ses propres chemins de désobéissance.
Vous retracez votre parcours personnel, de votre enfance à aujourd’hui, un parcours de construction de votre identité. Avez-vous hésité ou avez-vous eu peur de vous livrer autant ?
B. B. J’ai utilisé la littérature comme appareil critique pour essayer de mettre du langage sur des situations, de sortir de l’ombre toutes les fois où j’ai été confronté à l’altérité et à la minorité. Et faire de ces situations un objet littéraire car la littérature est là pour combler les silences. C’est Baptiste qui a vécu ça mais c’est Baptiste Beaulieu le romancier qui les analyse et les décortique. J’ai essayé de faire parler l’enfant, l’adolescent, le jeune adulte, le médecin, le jeune papa et j’ai fait écrire le romancier main dans la main avec chacun d’entre eux. Oui j’ai eu peur en écrivant ce livre et j’ai peur à l’idée que des lecteurs s’en emparent. Mais j’aurais eu encore plus peur de continuer à vivre sans solder les comptes avec ce passé. Je viens de devenir père. Le livre est là pour jeter hors de moi cette colère et avancer dans cette nouvelle aventure grandiose qu’est la parentalité.
Votre récit porte principalement sur l’homophobie ordinaire dont vous décrivez beaucoup de situations, en prenant parfois le lecteur à partie. Quel message avez-vous voulu faire passer aux personnes non concernées ?
B. B. Dans ce manifeste, j’ai remonté le fil de ma vie, une vie confrontée à l’expérience de la minorité, pour mettre en lumière différents ressorts à l’œuvre derrière ce phénomène de ségrégation sexuelle qu’est l’homophobie. Pourquoi je pense ce que je pense ? Pourquoi les autres pensent ce qu’ils pensent ? Pourquoi et comment laissons-nous une place à l’homophobie dans nos têtes? Pourquoi ce que font des adultes consentants de leur sexualité est un enjeu politique majeur, qui questionne celui – fondamental et donc pertinent pour tout le monde – de nos libertés individuelles? J’ai écrit ce livre avec l’espoir que, peut-être, à la fin de sa lecture, le lecteur se sente plus libre. Moins déterminé. Qu’il puisse haïr ou aimer, mais en toute connaissance de cause.
Quel message voulez-vous transmettre aux plus jeunes qui font face à cette homophobie ordinaire ?
B. B. Vous êtes moins seuls que vous ne le pensez et que la société aimerait vous le faire croire. Votre vie est importante. Vous avez un rôle à jouer ici-bas et quelque part vous attendent des gens qui vous aimeront tels que vous êtes.
De son enfance à son nouveau statut de père, Baptiste Beaulieu a toujours été confronté à l’homophobie. Celle qui ne se dit pas ou celle qui se crie dans des manifestations. Celle qui est violente ou celle qui est sournoise. Celle des amis ou celle d’inconnus. En retraçant son histoire, il confronte ses souvenirs, l’attitude des autres mais aussi ses propres réactions et ses réflexions sur la différence, sur le fait d’être soi, sur le rapport aux autres. Il confronte régulièrement les lectrices et les lecteurs à leurs propres a priori, leurs propres stéréotypes. Il en ressort un texte puissant dans lequel chacune et chacun pourra y trouver des réponses, du réconfort, du courage et bien sûr de la joie.