Littérature française

Marie Pavlenko

Le prix d'une vie

Entretien par Delphine Bouillo

(Librairie M'Lire, Laval)

La vie ne les a pas épargnées. Chaque histoire est différente, bien sûr, mais l'adage dit bien qu'on est plus fort à plusieurs. Astrid et Soraya n'ont rien en commun et pourtant le hasard de la vie fait qu'elles vont se rencontrer au cœur du Mercantour pour tenter de se réparer et de se construire un nouvel avenir.

Quel a été l'élément déclencheur de l'écriture de ce roman ?

Marie Pavlenko En 2018, je me suis rendue avec une amie dans le Mercantour pour observer les rapaces. Le Mercantour est une région très sauvage. On a atterri dans un tout petit hameau, à 1 900 mètres d'altitude, dans un endroit hors du monde et du temps. Quand on est reparti, dans le train, Astrid est née. Je me suis dit qu'une femme blessée pourrait venir dans cet endroit et pourrait s'échapper, se reconstruire. C'est d'abord Astrid qui a pris corps. Le Mercantour est aussi une région qui, pendant la crise syrienne, a vu énormément de passages d'exilés et, très vite, Soraya est née. J'ai imaginé cette très jeune femme de 17 ans qui aurait emprunté la route des Balkans pour rejoindre la France.

 

Quel est le parcours de ces deux femmes ?

M. P. Astrid a acheté cette maison sans l'avoir visitée. Le roman s'ouvre au moment où elle vend sa maison parisienne, s'engouffre dans un train puis un bus pour arriver dans ce Mercantour qu'elle ne connaît absolument pas. Mais son amoureux y allait souvent. Et on comprend alors assez vite qu'elle a perdu Kamal, son compagnon et ses deux enfants. C'est une femme émiettée qui arrive dans cette montagne, dans un silence et un deuil encore très prégnants. Soraya, quant à elle, est partie de Syrie avec toute sa famille. Ils ont été internés dans un camp en Albanie. Son père réussit à la faire sortir avec sa tante et c'est avec cette dernière qu'elle poursuit son périple. Quand elle arrive au cœur de ces montagnes, elle est très enceinte d'un enfant qu'elle n'a pas voulu.

 

Mais ces deux femmes fracassées vont trouver du réconfort auprès d'Ida, la voisine.

M. P. Ida est une femme puissante, très indépendante. Elle vit seule et connaît très bien la montagne. Ida est bienveillante. Sa force tranquille et sa liberté sont la seule main tendue qu'Astrid est capable de saisir. C'est un pilier sur lequel Astrid et Soraya vont pouvoir s'appuyer.

 

La littérature a-t-elle un pouvoir dans votre roman ? Est-ce un lieu de résistance ?

M. P. Totalement ! J'essaie très souvent de mettre des livres dans mes livres, de montrer à quel point la littérature peut nous aider à traverser des moments difficiles. Je sais que quand on a vécu dans sa chair un traumatisme fort, notre cerveau ne fonctionne pas toujours très bien. Se concentrer pour lire un roman est parfois difficile. La poésie a cette particularité d'être une fulgurance. Un poème peut être très court, très fragile dans sa forme mais d'un grand soutien. Je crois vraiment au pouvoir de la poésie. Astrid va le découvrir. Par ailleurs, Soraya aime la poésie. Les pays arabes ont une tradition de poésie très forte. En Syrie, on lit énormément de poétesses et de poètes, encore aujourd'hui.

 

Est-ce qu'elle permet aussi de faire ressortir une colère ?

M. P. Plus je vieillis et plus j'ai besoin d'écrire sur ce qui me blesse et me met en colère. Je ne comprends pas la façon dont on traite les exilés, des gens extrêmement courageux qui abandonnent tout pour traverser des pays où ils sont traqués comme des bêtes, frappés, enfermés, torturés. Le personnage de Soraya me permet de tenter de faire entrer les lectrices et lecteurs dans cette vie, cet affrontement quotidien. La façon dont notre gouvernement et les institutions traitent les enjeux climatiques me sidère également. Tout cela se cristallise dans le roman.

 

Dans le roman, les hommes représentent la violence. Tous, sauf un. Pouvez-vous nous parler de Max ?

M. P. Max est un jeune né dans ces montagnes. De mère arabe, il travaille en tant que traducteur dans une association d'aide aux migrants. J'essaie de proposer des modèles d'hommes qui ne soient pas des caricatures de la virilité. Les femmes sont violentées par un système patriarcal mais les hommes souffrent aussi de ce système, par cette obligation de la performance. Max est un jeune homme fort, attentionné, doux, qui est capable de s'excuser.

 

Le rire est aussi présent.

M. P. La vie s'incarne dans le rire. Il fallait des moments de lumière, de beauté de vie.

 

Astrid n'a pas été épargnée par la vie. Pour tenter d'oublier, elle s'enfuit et s'installe en montagne, au cœur du Mercantour. Soraya n'est qu'une jeune fille qui doit sauver sa peau coûte que coûte. Elle a quitté son pays en guerre et veut rejoindre la France pour trouver refuge. Au fil des jours, Astrid essaie de s'adapter à sa nouvelle vie. Lors d'une promenade en raquettes, elle découvre Soraya allongée dans la neige. Elle va la recueillir chez elle et n'imagine pas encore ce que ce geste va engendrer dans sa vie. Marie Pavlenko nous raconte une histoire de femmes toute en émotions et humanité. Elle aborde des sujets ô combien complexes avec beaucoup de justesse et signe un roman bouleversant et magnifique.

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