Littérature française

Alexandra Boilard-Lefebvre

Une histoire silencieuse

✒ Jean-Baptiste Hamelin

(Librairie Le Carnet à spirales, Charlieu)

Sur la photo de la couverture, Thérèse Larin a 19 ans et s’apprête à épouser Roger. Son teint est clair mais son regard quasi absent, comme si elle était ailleurs. En 1970, Thérèse ferme la porte de sa chambre s’allonge, absente au monde, et décède.

Thérèse Larin est la grand-mère d’Alexandra Boilard-Lefebvre, autrice québécoise de ce premier roman hybride, une véritable petite merveille d’intelligence où elle raconte Thérèse, femme oubliée, sortie des mémoires, dont on évoque seulement, non pas la vie, mais la mort jugée accidentelle. Alexandra mène l’enquête auprès de sa famille, de ses amis, de ses connaissances mais aussi du coroner. Elle récolte les témoignages et plutôt que de les réécrire, elle les retranscrit fidèlement, donnant au texte une étoffe froissée de silences, d’accentuations, de répétitions, de dits et de non-dits. Grâce à une mise en page parfaite, ces passages émeuvent, brassent, expliquent, ravivent les souvenirs et une époque. La spontanéité, l’oralité et les expressions des habitants du Chicoutimi sont conservés, donnant ainsi un rythme brut aux entretiens menés. Thérèse absente, subsistent quelques photos que l’autrice examine et fait parler, quelques clichés sur une vie, clichés d’une vie relatée par le livre-enquête de Betty Friedan, en 1963, The Feminine Mystique, essai abordant, lors de nombreux entretiens, « le syndrome de la ménagère », ce mal-être ressenti par une vie sans étincelles, sans choix. Thérèse serait-elle morte de cela ? Son suicide serait-il l’aboutissement de cette vie sans aspérités, de ce quotidien lisse et répétitif ? Une histoire silencieuse est celle d’une femme qui n’ose pas, qui vit sans bruit et qui meurt, tel un animal blessé, discrètement, derrière une porte fermée, sans déranger, sans bruit, sans cri. Ce livre est brillant et attachant, voilé d’un mystère, comme dans un petit brouillard au matin. Sans chercher à combler le vide, les vides, à réinventer une vie, des événements, Alexandra Boilard-Lefebvre signe une œuvre authentique, véritable miroir d’une époque, respectueuse de cette grand-mère inconnue.

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