Polar

Dror Mishani

Une deux trois

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photo libraire

Chronique de François Reynaud

Librairie des Cordeliers (Romans-sur-Isère)

Dror Mishani publie son quatrième roman et, s’il abandonne son personnage d’inspecteur Avraham Avraham, il garde cette atmosphère profondément mélancolique pour dire la banalité du crime dans une banlieue résidentielle de Tel Aviv. Et toujours cette douceur dans l’écriture qui vous glace le sang !

Il est le lien entre Orna, Emilia et Ella, les trois femmes qui composent cette histoire. Il s’appelle Guil, avocat spécialisé dans l’obtention de passeports roumains, polonais ou bulgares pour tout Israélien ayant des origines dans ces pays-là. Ce n’est certainement pas un « ténor du barreau » comme il le dit lui-même, mais enfin il est bon dans ce qu’il fait, l’un des meilleurs même. Il se présente comme en instance de divorce et cherche, sur des sites de rencontres ou au hasard des terrasses de cafés, des femmes au profil un peu semblable au sien. Des femmes sans éclats. Pas spécialement belles. Des femmes divorcées en manque de confiance, immigrées en situation de précarité prête à saisir n’importe quelle épaule sur laquelle s’appuyer un instant, ou d’autres encore prêtes à tenter l’aventure avec lui pour pimenter un quotidien un peu terne. Il est là, à l’affût. Jamais pressé. Il semble avoir tout son temps. Si son allure plutôt neutre ne suscite pas le coup de foudre au premier regard, c’est sa bienveillance, sa patience et sa douceur qui lui font gagner la confiance de celles qui croisent sa route. Guil a cela en commun avec l’univers que Dror Mishani peaufine de roman en roman depuis Une disparition inquiétante en 2014 (Seuil et Points) : il cache ses intentions sous beaucoup de douceur. Holon est une ville de classe moyenne, composée de vies invisibles qui ne font pas de bruit et n’intéressent pas grand monde en Israël. On y a le sens des conventions, on sait se tenir, on ne hurle pas au scandale et on ne tue pas dans les rues à la manière des voyous. Tout se fait dans l’intimité d’intérieurs feutrés. On y assassine en étouffant son prochain à l’aide d’oreillers très doux et l’on y meurt comme on s’endort. Guil et sa douceur. Voilà d’où vient le malaise des romans de cet écrivain israélien dont la voix ne ressemble à aucune autre. Une vraie littérature de l’inquiétude qui infuse lentement et dévoile ses intentions meurtrières lorsqu’il est déjà trop tard. On est loin d’une écriture policière fabriquée à la chaîne, sûre de ses effets et prétendant tenir le lecteur en haleine. Ici la mort a des gants de velours et la narration adoptée par Mishani est celle de l’accompagnement des victimes, au plus près du destin funeste qui les attend. Et en même temps qu’impuissante, elle semble dire à celles qui vont mourir, vous allez voir, cela va bien se passer, elle leur promet aussi une vengeance qui vaudra bien des victoires, à commencer par celle sur l’oubli.