Littérature française

Pierre Assouline

Sigmaringen

illustration

Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Sigmaringen, petite ville du sud de l’Allemagne, a été jusqu’alors relativement épargnée par la Seconde Guerre mondiale grâce à sa situation géographique sans enjeu stratégique et l’absence de cible potentielle aux alentours. Mais en août 1944, Adolf Hitler réquisitionne le château appartenant à la famille des Hohenzollern pour, d’une part, punir celle-ci de son manque de soutien au régime et, d’autre part, y loger, plus ou moins de force selon les cas, les miettes du pouvoir collaborationniste français fuyant l’avancée des alliés. Le château acquiert un statut d’extraterritorialité et, le drapeau tricolore hissé, il devient une incroyable enclave française en Allemagne. La ville se trouve à son tour rapidement envahie par de nombreux fuyards aux motivations diverses, tous ayant quitté la France dans la plus grande précipitation. Commence alors pour cette petite ville aux allures de cour des miracles, un des chapitres les plus étonnants de son histoire, qui durera jusqu’avril 1945. Julius Stein est le majordome du château, chef du personnel, la véritable mémoire vivante des lieux, comme son père l’était avant lui. Au départ du prince, il conserve son poste et doit faire en sorte que les choses restent en l’état, que les nouveaux arrivants, malgré la situation économique de plus en plus difficile, soient servis comme leur rang l’exige : au-delà de ces circonstances, il s’agit d’accueillir un chef de l’État et son gouvernement. Mais le maréchal Pétain, furieux d’avoir été emmené, fâché avec son second, Pierre Laval, refuse de jouer cette comédie du pouvoir. De son côté, Pierre Laval, sans doute conscient que ce château n’est que la première d’une série de prison, ne veut s’investir dans rien d’autre que la préparation de sa future défense. Mais devant sa passivité, d’autres agissent et se chargent de mettre en place un soi-disant gouvernement français, préparant sérieusement l’hypothétique reconquête du territoire. Dans ce contexte des plus tendus, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, Julius s’attelle à la tâche. Les faits, aussi ubuesques soient-ils, sont avérés ; les personnages connus abondent (bonjour, docteur Destouche) ; bien évidemment le château existe ; et la plongée dans cet univers (où se mêlent indistinctement l’ennui et l’envie, le morbide et l’exaltation le long de journées que les acteurs de cette tragi-comédie eux-mêmes seraient incapables de décompter tant le temps semble se fondre en un courant unique), est merveilleusement rendue. Mais, au-delà de cela, de la redoutable documentation amassée et de la parfaite maîtrise de celle-ci – pas un soupçon de didactisme ici –, la grande force du roman de Pierre Assouline, la surprenante plus-value serait-on tenté de dire, tient justement en un mot : roman. Car ce Julius Stein n’est pas une trouvaille littéraire, il prend véritablement chair dans le récit, à tel point que sa propre histoire prend le dessus sur le récit de Sigmaringen dans la seconde partie de l’ouvrage, permettant à Pierre Assouline de signer l’un de ses meilleurs livres.

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