Le roman démarre à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Pour quelles raisons avez-vous choisi de vous pencher sur cette période de l’Histoire française ?
Benjamin Dierstein – C'est une période bouillonnante qui mélange années de plomb à la française, chute de la droite après des années de gestion du pouvoir, flics et voyous stars, arrivée massive de la cocaïne dans la jet-set et le monde de la nuit. Relire les journaux de l'époque, c'est comme manger des bonbecs.
Le projet est monumental : 800 pages pour le premier tome et deux autres à venir. Quand avez-vous pris la décision de lui donner une telle ampleur ?
B. D. – J'avais envie d'écrire une saga qui parle non seulement des affaires de l'époque, mais qui suive aussi les destins de quatre personnages qui cherchent la lumière, s'en approchent, chutent, se relèvent... Le tout à un rythme effréné, comme dans un film de Scorsese. Ce genre de projet ne peut pas se faire en 400 pages. Imaginez une version de Casino qui durerait 1h30 : elle n'aurait pas la même force tragique.
La documentation est impressionnante et en même temps le romanesque est omniprésent (les scènes d’action rappellent le Don Winslow de la grande époque). Comment avez-vous trouvé cet équilibre ?
B. D. – J'ai passé un an et demi à me documenter à temps plein, mais j'ai passé autant de temps à écrire mes personnages, à leur trouver des détails et surtout des trajectoires. Ce sont des personnages qui rient, qui pleurent, qui souffrent, qui font souffrir les autres, qui sont en colère. Pour moi, c'est ce qu'il y a de plus important. Plus que l'intrigue ou le décor historique.
Pouvez-vous nous expliquer le titre ?
B. D. – « Bleus » fait référence à deux des personnages principaux, des jeunes flics qui sortent de l'école de police et débarquent avec des valises remplies de certitudes dans un monde plus dur qu’ils ne imaginaient. Une grosse partie du récit est basée sur leur prise de conscience de la réalité. Quelque part, c'est un roman d'initiation. « Blancs », ce sont les cols blancs, les décideurs, les hommes au pouvoir, c'est-à-dire une grande partie des personnages secondaires. « Rouges », ce sont les cibles de ces hommes au pouvoir : les révolutionnaires d'extrême gauche qui vont écrire une page importante de l'histoire de la lutte armée en France à cette époque, dans le sillage d'Action directe.
Malgré un roman d’une grande noirceur, vous n’hésitez pas à glisser des touches d’humour, notamment dans des dialogues savoureux (je pense notamment à la légende de Gérard Coulon et ses coups de boule qui traversent le roman).
B. D. – J'avais envie d'écrire un roman qui balance en permanence entre le tragique et le comique. C'est un drame et en même temps une satire. Ellroy a très bien réussi à faire ça dans American Tabloïd ; je me suis clairement inspiré de sa manière de faire. Concernant les personnages réels comme Giscard, Mesrine, Delon ou Pierre Goldman, j'ai passé beaucoup de temps à étudier leur manière de parler et leurs tics de langage. Ça permet de créer des versions caricaturées, un peu énormes d'eux-mêmes, et d'éviter du même coup de tomber dans le piège d'un jugement positif ou négatif les concernant, comme on voit trop souvent dans les biopics.
Les suites sont-elles déjà écrites ?
B. D. – Oui, elles sont prêtes. L'Étendard sanglant est levé, qui sortira en septembre, se passe entre 1980 et 1982, et se focalise, entre autres, sur les débuts d'Action Directe, l'attentat de la rue de Copernic, l'arrivée de Mitterrand au pouvoir, les attentats signés Carlos, la mort du SAC, le FLNC et le conflit au Tchad. Le dernier tome, 14 juillet, qui se passe entre 1982 et 1984, raconte l'attentat de la rue des Rosiers, les Irlandais de Vincennes, les écoutes de l’Élysée, l'arrivée de Broussard en Corse, la naissance de la Brise de Mer, la mort de Guy Orsoni, la guerre au Liban et la montée du Front national. Il sortira début 2026.
Prenez un mercenaire rentrant d’Afrique ayant déjà vécu mille vies (et commis tout autant d’exactions) à qui l’on va confier la reprise en main du milieu parisien, deux jeunes policiers sortant de formation, prêts à en découdre et gonflés d’illusions sur la croisade de l’Ordre, et un brigadier sonné par les violences de Mai 68. Plongez-les dans une France qui, sur fond de terrorisme d’extrême gauche, semble être au bord de l’implosion. Secouez le tout. C’est ainsi que démarre ce Bleus, blancs, rouges, cinquième roman, façon parpaing, de Benjamin Dierstein qui, entre les ressorts de la grande Histoire et les bas-fonds sordides de celle-ci, ne laissera aucun répit à ses lecteurs le long de ses 800 pages.