Littérature française

Baptiste Touverey

Un empire à prendre

Entretien par Stanislas Rigot

(Librairie Lamartine, Paris)

Une époque lointaine, une contrée sauvage, un pouvoir vacillant, des personnages en devenir : tels sont les premiers ingrédients de cette formidable saga, gorgée de bruits et de fureur, rejouant avec talent l’éternelle partition de la quête du pouvoir et du tragique qui n’a de cesse d’accompagner celle-ci.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d'écrire sur cette époque ?

Baptiste Touverey C’est arrivé complètement par hasard : j'allais sortir mon premier roman, Constantinople, à l'automne 2017 et on m’a suggéré alors d'écrire une suite. L’idée me plaisait mais je n’avais pas envie d'écrire une suite traditionnelle, ne serait-ce que parce que la plupart des personnages étaient morts. J’ai alors voulu voir ce qui se passait à ce même moment à l’autre bout du monde, dans l'autre grand pôle de civilisation de l'époque, la Chine. Et j’ai découvert sur Internet que cette Chine du début du VIIe siècle était une sorte de miroir déformé de Constantinople, c'est-à-dire un empire en train d'éclater. Mais en Occident, c'est la division qui l'a emporté, alors qu’en Chine, ce fut l'unité. Je me suis documenté pendant plusieurs mois et le travail d’écriture m’a pris sept ans car j’ai un temps été bloqué dans l’écriture. Il a fallu la naissance de mes premières filles en 2022 pour que s’opère un déclic. Ceux qui ont des enfants me comprendront : tout d'un coup, on n’a plus de temps pour rien et plein de choses qui semblaient absolument indispensables deviennent complètement inutiles. Je me suis alors aperçu que la moitié du roman ne servait à rien : j'en ai donc supprimé la moitié, tout réécrit et, surtout, j'ai mené l’intrigue à son terme. En fait la gestation de ce roman a duré sept ans et l’accouchement six mois !

 

On pourrait se dire que l’on tient un roman historique sur la Chine mais le mot Chine n’apparaît pourtant jamais.

B. T. En effet. Si j'avais voulu faire un livre d'Histoire, j'aurais écrit un essai. Or je voulais écrire un roman. Le problème du mot Chine est qu’il renvoie à tout un tas de légendes, fantasmes et folklores. Je voulais absolument éviter ça d’autant que les Chinois eux-mêmes n’utilisent pas ce nom pour désigner leur pays. Ils le désignent comme « l’Empire du Milieu sous le Ciel ». C’est pourquoi j’utilise l’expression « le Milieu du Monde ».

 

Votre roman est à la fois ancré car inspiré par des faits historiques et, en même temps, c’est un roman aux thèmes universels. Il peut tout aussi bien faire écho à Dune qu’au Trône de fer, avec tout ce qu’il faut de batailles, de complots, de haines et d’amours plus ou moins contrariés.

B. T. Les trois personnages principaux ont vraiment existé mais j’ai pris beaucoup de liberté avec la trame générale de leur vie car je me suis concentré sur ce qui est pour moi le cœur d’un roman : des personnages face à des choix. Le point commun de mes héros, c'est qu'ils sont bloqués dans leur vie. L'enfant du clan aristocratique est un cadet et occupe donc une place définie dans sa famille : il ne sera jamais aimé, il obéira à son frère et à son père. La princesse est prisonnière des nomades et le jeune paysan ne va jamais pouvoir sortir de sa condition. Une catastrophe fait que, soudain, tout est remis en question. Un appel d'air gigantesque fait que des possibles s'ouvrent : les personnages vont donc être confrontés à des choix qu'ils n'auraient jamais pu ne serait-ce qu’envisager. Une dynastie s'écroule, une autre arrive mais il y aura qu'une seule place, un seul vainqueur.

 

Le livre est extrêmement addictif mais jamais vous ne tombez dans ce qui arrive un peu trop fréquemment ces derniers temps, c’est-à-dire des livres écrits comme des séries, vidés de leur sens pour tout sacrifier à une multitude de rebondissements.

B. T. Pour moi, les vrais rebondissements sont dans la psychologie des personnages, la façon dont ils évoluent, les relations qu’ils ont, ce qui les fait avancer. Ce n’est pas simplement un personnage qui tombe dans un trou, par exemple ! Des rebondissements, il y en a bien sûr mais avec mesure, sinon cela devient vite artificiel.

 

L’Empire du Milieu au VIIe siècle est un territoire unifié depuis peu, encore fort instable, ce qui n’empêche pas l'Empereur de convoquer l’ensemble des Grandes Familles pour qu’elles assistent à l'inauguration de son Canal, fruit d’un chantier pharaonique qui a tué des milliers de personnes. Sur place, la célébration tourne mal. Trois personnages se détachent alors : un des enfants d’une de ces grandes familles, un paysan qui accompagne une autre de ces familles et la belle-sœur de l'Empereur qui a été offerte, des années auparavant alors qu'elle n’était encore qu’une enfant, aux « terribles nomades », un redoutable peuple guerrier. Trois personnages bien décidés à prendre leur destin en main par tous les moyens nécessaires.

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