Littérature française

Jean-Philippe Blondel

Et rester vivant

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photo libraire

Chronique de Aurélia Magalhaes

Bibliothèque/Médiathèque Jean Cocteau (Massy)

Été 1986, un jeune homme a tout perdu. Il a pour seules amarres une paire d’amis et pour seul rêve voir Morro Bay, en Californie. Mais le voyage ne se déroule pas exclusivement le long des routes des États-Unis, il se présente également comme un passage douloureux vers l’âge adulte. Le récit d’un choix, celui de vivre malgré tout.


On croit à tort que les tragédies sont propres à la fiction. Pourtant, la réalité se charge parfois de démontrer le contraire : « Personne ne perd jamais son frère et sa mère, puis quatre ans plus tard, son père – à l’âge de vingt-deux ans. » s’étonne Jean-Philippe Blondel. C’est pourtant ce qu’il a vécu, et de cette perte qui aurait pu lui être fatale, il tire un récit d’une infinie pudeur, une ode à la vie. L’auteur raconte comment, débarrassé de ses attaches familiales et l’argent de son héritage en poche, il se lance sur les routes des États-Unis en compagnie de ses meilleurs amis. Il ne sait pas s’il reviendra en France. Pour tenir, il se répète comme un mantra qu’il a 22 ans. C’est jeune. Avoir 22 ans, c’est savoir que la vie ressemblera à ce qu’on décidera d’en faire. Vivre ou mourir. 


Comment décrire ce livre. Disons pour commencer que c’est un road book. Des jeunes gens sillonnent les routes de San Francisco et du Mexique en passant par Los Angeles et Las Vegas. Ils font des rencontres essentielles avec des personnages aux histoires singulières, des phares dans leur périple. C’est aussi le récit d’une indéfectible amitié qui permet à Blondel de ne pas sombrer face à un deuil qui lui paraît dans un premier temps insurmontable. Pour prendre de la distance avec sa douleur, le jeune homme choisit de se mettre, en quelque sorte, en retrait de l’existence. Désormais, la vie lui apparaît en noir et blanc. Mais à mesure qu’il progresse dans le voyage, les couleurs reviennent, il retrouve sa faculté d’émotion et les larmes se remettent à couler. Le danger qui le guette à présent, c’est de se perdre dans le flot des souvenirs dont il est devenu, à son corps défendant, le dépositaire. Résistera-t-il à l’appel des sirènes, à la douleur d’avoir perdu un frère et une mère qu’il n’a pas eu le temps de comprendre ? Ce récit est une véritable odyssée, une quête existentielle dont le héros ne sortira pas indemne. Devant les choix qui s’offrent à lui – rester, continuer à sillonner les territoires américains ou rentrer en France, mais surtout survivre ou se précipiter dans le vide –, le personnage est comme perdu et incapable d’exercer son libre arbitre. S’il n’avait reçu un mail le rappelant à cet été fondateur, à cette chanson de Lloyd Cole, Blondel n’aurait sans doute jamais écrit ce livre qui vient éclairer les thèmes récurrents de ces romans. Tout y est, l’amitié, la famille, l’amour de la langue anglaise et de la musique… surtout, Et rester vivant montre l’itinéraire d’un homme qui n’a jamais cédé au misérabilisme ou à l’égocentrisme pour faire le choix des vivants et de la lumière.


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