Beaux livres

Artemisia

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photo libraire

Chronique de Olivier Renault

Librairie La Petite lumière (Paris)

On connaît très mal en France Artemisia Gentileschi. Alexandra Lapierre avait pourtant fait connaître sa vie dans Artemisia (Robert Laffont), mais on voyait peu ses œuvres. Lacune en cours de réparation grâce à une très belle exposition présentée en ce moment même au Musée Maillol, accompagnée d’un tout aussi beau catalogue.

Un mot, d’abord, de ce catalogue : vraiment un très beau livre, avec cette couverture en peau de pêche, ce lettrage doré, cette superbe page de garde en rouge sombre, gaufrée et marquée de la signature de l’artiste… Si la mise en page est plus classique, l’objet est très réussi. La vie d’Artemisia est tout sauf anodine. Son père, Orazio, est un peintre connu. C’est aussi un homme autoritaire et brutal. Sa mère meurt tôt (l’enfant n’a que 10 ans). Elle grandit en observant son père peintre et en apprenant la peinture dans son atelier. Puis une relation tumultueuse se noue avec un autre peintre, Agostino Tassi, qui la violera – sur cette affaire, on se reportera aux précisions données par Alexandra Lapierre sur les trois formes de stupro . Il y aura un procès, un long procès de neuf mois qui n’ira pas sans humiliations pour la jeune femme. Rude épreuve à surmonter. Elle se marie avec Pierantonio Stiattesi, médiocre peintre florentin avec lequel elle s’installe à Florence. Assujettie à son mari, elle parvient à se faire accepter à l’Accademia del Disegno, une première pour une femme, ce qui lui permettra de s’affranchir des tutelles masculines. Elle mènera sa vie à sa guise entre Florence, Rome et Naples. Rien n’est cependant facile : « Dans un monde où les poignards et les pinceaux se rencontrent dans les mêmes mains, en un temps où les femmes n’avaient d’autres choix que d’être des épouses, des religieuses ou des prostituées, Artemisia Gentileschi a réussi ce pari impossible. S’affranchir des lois de la société, pour devenir le peintre que nous redécouvrons aujourd’hui, après trois siècles d’oubli. » Sa correspondance (lettres, extraits, fac-similés sont reproduits dans le catalogue) révèle une femme intelligente, ambitieuse et douée d’une grande force de caractère : « Vous trouverez en moi l’âme de César dans un corps de femme » . Il fallait l’oser, et le faire. Judith et Holopherne comme symbole : la violence de sa vie, Artemisia sait la transcrire, la représenter. On s’égorge sec et sans vergogne. Des femmes, beaucoup, Suzanne et les vieillards , Cléopâtre …, souvent sensuelles. Le catalogue montre bien l’étonnante variété stylistique d’Artemisia. De nombreuses œuvres n’avaient jamais été vues par le grand public. Car après le succès et la gloire acquis de son vivant, Artemisia est tombée dans l’oubli jusqu’au début du xxe siècle, avant d’être redécouverte par Roberto Longhi. Cette exposition et ce catalogue lui rendent sa juste place. •