Bande dessinée

Götting

Watertown

illustration

Chronique de Mélanie Blossier

Librairie Doucet (Le Mans)

Depuis trente ans, Götting écrit ou illustre des bandes dessinées avec un style singulier. Watertown est son dernier roman graphique publié chez Casterman et réalisé en solo. Philip, le personnage principal, y joue les apprentis détectives afin de retrouver Maggie, disparue sans explication.

Philip, « vieux garçon », vit seul dans la petite ville de Watertown où il a l’habitude d’acheter tous les matins, avant d’aller au travail, un muffin à la pâtisserie de Mrs Clarke. Il y croise quotidiennement Maggie Laeger, une charmante vendeuse qui disparaît le jour même de la mort de M. Clarke. Seulement, personne ne trouve suspect le fait qu’elle se soit volatilisée le jour de la mort de son patron. Philip, lui, est préoccupé, notamment par les derniers mots que Maggie lui a dit la veille : « Demain, je ne serai plus là ». Alors qu’il rend visite à son frère à Stockbridge, Philip pense reconnaître Maggie. Mais la jeune femme qui tient une petite boutique d’antiquités affirme s’appeler Marie Hotkins et ne le reconnaît pas… Naît alors chez le personnage principal une véritable obsession. Habituellement tiré à quatre épingles, il va commencer à se négliger, se laisser distraire au travail, ne pensant jour et nuit qu’à cette affaire. Philip pose même des congés afin de pouvoir résoudre au calme le mystère qui entoure cette femme. Car il en est sûr, Maggie et Marie ne sont qu’une seule et même femme. Séjournant chez son frère et quitte à s’attirer des problèmes, notre héros enquête, questionne, dérange, tout en se rapprochant de sa suspecte. Cette histoire est loin d’être simple. Philip va découvrir celle de la jeune femme et prendre conscience que tout le monde ne peut s’improviser détective. À mi-chemin entre le roman noir et la chronique sociale, ce texte fait fortement penser au roman La Vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker (De Fallois poche), dans lequel un romancier enquête sur une vieille affaire criminelle pour innocenter un ami. À mesure que Philip avance dans son enquête, le lecteur apprend davantage à le connaître à travers son discours de narrateur et donc sa voix intérieure. Son intérêt pour la jeune femme devient plus une obsession qu’une distraction. Et cela ne fait que souligner la routine de son quotidien et sa solitude. De même que les tons pastel choisis par l’illustrateur rajoutent à l’ambiance calme et tranquille de cette petite ville, ils donnent un côté triste aux personnages principaux et à leur histoire. Le style de Götting compose de véritables fresques au réalisme étrange et des cases mémorables qui ne sont pas sans rappeler certains tableaux de Hopper. On y retrouve l’atmosphère tranquille de ces petites bourgades américaines des années 1950, des portraits souriants attablés devant un café ou déambulant dans la rue, un feutre sur la tête pour les messieurs et un chignon bas pour les dames. Le choix des couleurs, le ton posé du narrateur et la tranquillité des lieux, bercent le lecteur dans une douce ambiance où règne un léger suspense. Comme dans un roman initiatique, Philip évolue grâce à cette histoire qu’il réussit à résoudre. Plus que les faits, il en apprend davantage sur lui en s’ouvrant aux autres. En s’intéressant aux gens, il travaille sur lui-même et se révèle tel qu’il est vraiment. Comme si, au fond, il y avait plus d’un mystère à résoudre.

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