Bande dessinée

Jérémie Moreau

Max Winson

illustration
photo libraire

Chronique de Samuel Vidal

Librairie Maison du livre (Rodez)

Allégorie d’une société-entreprise consumée par la quête du profit et de la réussite, Max Winson est une histoire tragique, belle et poétique, sur le destin d’un jeune homme auquel tout semble acquis, mais qui a perdu tout repère et se trouve incapable de donner un sens à son existence. Premier volet d’un diptyque prometteur.

Max Winson est talentueux. Terriblement talentueux. Idole d’une population qui l’a érigé au rang de héros, ce grand échalas timide à l’allure discrète et mélancolique est pourtant loin de se sentir à son aise dans le rôle que voudrait lui faire jouer la foule de ses admirateurs. Auréolé d’un succès sans cesse croissant, Max est, en dépit de son jeune âge, le champion incontesté de tous les tournois de tennis depuis de nombreuses années. Jamais il n’a connu la défaite. Peu importe le talent ou la fougue de ses adversaires, Max triomphe systématiquement, tel une implacable machine, ne laissant aucun espoir à ceux qui tentent de l’affronter. Véritable incarnation du succès au sein d’une société fictive – mais dont les dérives rappellent furieusement celles qui caractérisent la nôtre ; une société qui ne jure que par l’argent et le pouvoir qu’il confère –, Max ne semble être rien de plus qu’un pantin évoluant entre les mains d’un père hargneux et despotique. Depuis sa plus tendre enfance, ce dernier impose au jeune homme un entraînement quotidien harassant, ne laissant aucune place au loisir et au repos. Et derrière l’image écornée du champion se cache un homme à qui on a volé l’enfance. Lorsque son père est brusquement terrassé par la maladie à la suite d’une interview qui tourne au vinaigre et qu’il s’avère incapable de superviser son entraînement, Max se retrouve (presque) livré à lui-même. Pour la première fois de son existence, le jeune homme va goûter au libre-arbitre et entrevoir des possibilités dont il n’avait jamais pris conscience jusqu’alors. Ce sera pour lui l’occasion de découvrir les autres, le monde, mais aussi d’en apprendre plus sur lui-même… Après s’être fait remarquer en tant que dessinateur sur l’album Le Singe de Hartlepool (Delcourt, 2012), scénarisé par Wilfrid Lupano et prix des Libraires BD 2013, Jérémie Moreau se lance seul dans l’aventure Max Winson et signe un diptyque dont le premier volume, intitulé La Tyrannie, dresse le portrait de cet improbable et invincible joueur de tennis qui, malgré son incroyable succès, dérive au cœur d’un univers sur lequel il n’a aucune prise. Servi par un graphisme au trait expressif et dynamique, l’emploi des nuances de gris permet à l’auteur de mettre subtilement en évidence, et de façon très visuelle, les contrastes qui sont au cœur de ce récit, à commencer par le protagoniste lui-même, instrument déshumanisé de la compagnie financière qui porte son propre nom. Max Winson évoque une fable douce-amère aux accents tragi-comiques, qui trouvera sa conclusion dans le second volume, d’ores et déjà attendu avec impatience !