Bande dessinée

Teresa Radice

Les Filles des Marins Perdus

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photo libraire

Chronique de Florence Londeix

Librairie Page et Plume (Limoges)

Quel plaisir de retrouver Plymouth, son port accueillant et son non moins accueillant bordel ! Eh oui, il est ici question du Pilar et de ses filles de joie ! N’hésitez pas à venir rencontrer June et Lizzie, deux prostituées au grand cœur. Point d’histoire graveleuse dans ce très bel album mais des histoires de marins, de sauvetage et d’amour.

Nous voilà donc de retour à Plymouth en cette année 1810. L’époque se veut aux grands voyages marins et aux découvertes. Et comme dans tous les ports dignes de ce nom, Plymouth possède son bordel, Le Pilar. Les pensionnaires du lieu forment une jolie famille soudée et sympathique. Mais c’est un aussi et surtout un port où accostent les navires, de retour d’expéditions. Tane, colosse maori et manchot, fraîchement débarqué, cherche un emploi et ses pas le guident au Pilar. Sa gentillesse et son empathie naturelles mais aussi son imposante stature font de lui le chevalier des filles. Gare aux malotrus qui leur manqueraient de respect ! Surtout à June qui se prend d’une amitié sincère et profonde pour lui et son histoire. Il s’est retrouvé à Plymouth suite au décès du Professeur Gray qu’il accompagnait au retour d’une expédition scientifique. Mais lorsque Tane est accusé d’avoir volé la découverte du défunt professeur, ce sont elles, les filles de joie, qui vont tout faire pour l’innocenter. Lizzie, une autre pensionnaire du Pilar, va alors rencontrer Jeremy Gray, le fils du professeur. Mais une histoire d’amour est-elle envisageable ? Elle est une fille de joie et lui un notable respecté. Voilà, le décor est planté, les personnages sont romanesques et attachants, et la mer toujours bien présente. Teresa Radice et Stefano Turconi signent là un roman graphique poétique. Le trait est délicat et les couleurs douces et chaleureuses, ce qui confère à l’album une ambiance particulièrement douce malgré une thématique forte. Il est question d’histoires de femmes et d’hommes aux caractères bien trempés qui osent aller contre la société bien-pensante du XIXe siècle. Cette thématique d’histoires de marins liés à celui des filles de joie était déjà présente dans Le Port des marins perdus. Ce très beau roman graphique des mêmes auteurs, paru en 2016 chez Treize étrange, nous racontait l’histoire d’Abel, jeune marin naufragé et amnésique. Lui aussi avait débarqué à Plymouth et était à la recherche de son passé. Le traitement graphique tout en nuances de gris traduisait bien l’ambiance nostalgique et un peu fantastique du texte (apparition du port au loin dans la brume). Là encore, c’est grâce aux filles de joie du Pilar qu’Abel réussira à découvrir qui il est en réalité. Avec ces deux magnifiques albums à la présentation soignée et à la qualité littéraire indéniable, les auteurs nous emmènent sur les traces d’un Stevenson. À lire absolument.