Jeunesse Dès 13 ans

Marin Ledun

Le Projet Hakana

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photo libraire

Chronique de Célia Ribette

Librairie Rêv'en Pages (Limoges)

Avec ce Projet Hakanā, Marin Ledun vous entraîne dans une course-poursuite où reprendre votre souffle risque de vous faire perdre bien trop de temps ! Et si ce temps est précieux, l'auteur, totalement imprégné de la culture des îles Marquises, nous montre aussi ce que l'on oublie trop souvent : le monde vivant qui nous entoure l'est encore plus.

Comment vous est venue l’histoire de Rim ?

Marin Ledun - D’un lieu, les Marquises, la Terre des Hommes, et d’une question que je me pose, comme beaucoup de gens, j’imagine : et si nous pouvions tout recommencer, referions-nous les mêmes erreurs ? Voilà comment est née Rim qui est un peu l’adolescente que j’aurais aimé être, à la fois naïve et lucide, courageuse et forte, rêvant de changer le monde et ayant soudain la possibilité de le faire.

 

Si vous disposiez de la technologie TR-ADN, quel moment historique aimeriez-vous vivre ?

M. L. - J’aimerais vous citer un événement marquant de notre Histoire collective mais je crois qu’à ma petite échelle, j’aimerais simplement découvrir ce qu’était la Terre quand elle n’était que primaire, vierge de tout processus civilisationnel humain. Et aussi l’invention de l’imprimerie au milieu du XVe siècle avec Gutenberg, ce moment où l’on va permettre aux mots d’être reproduits à l’infini, de voyager et d’être partagés par tous et non plus uniquement par une poignée d’érudits, de lettrés et de dominants. Quel formidable espoir cela a dû représenter dans l’esprit de certains !

 

L’Histoire est faite de nombreuses colonisations. Pourquoi avez-vous choisi celle des îles Marquises pour votre roman ?

M. L. - Par méconnaissance du reste du monde (j’ai peu voyagé dans ma vie) et aussi par chance : j’ai été invité en 2016 à deux salons du livre organisés sur les îles voisines de Ua Pou et Nuku Hiva. Les rencontres humaines que j’y ai faites, la puissance des lieux, entre terre et océan, et la vitalité du renouveau culturel marquisien ont constitué un choc parce qu’ils me renvoyaient à ce qui n’existait plus ou que je n’étais plus capable de voir dans le pays où j’ai grandi, la France : la conscience forte de l’importance de la nature et de la culture pour assurer les fondations du vivre ensemble : le constat inouï et radical que la langue, les Arts, tatouages, sculptures, danses, tressages, etc., et leur imbrication complexe avec le vivant sont indispensables pour penser l’avenir autrement qu’en termes de destruction.

 

Quel travail de recherche, de rencontres, effectuez-vous pour aborder un tel pan de l’Histoire ?

M. L. - Suite à mon premier séjour aux Marquises, j’ai tout de suite voulu tout savoir sur ces îles. J’ai commencé par lire ou relire les célèbres écrivains qui s’y sont intéressés, ce qui s’est avéré assez frustrant, puisqu’il s’agit essentiellement de fantasmes littéraires, en dépit de leur qualité. Je me suis donc intéressé à la production historique, archéologique, aux récits de voyage, publiés par les éditions tahitiennes Au Vent des Îles et Haere Pō. J’ai commencé à apprendre la langue èo ènana, grâce au travail linguistique en ligne de Jacques Pelleau, aux chants marquisiens et au visionnage des différents Matavaa des Marquises, ces grands festivals des Arts qui ont lieu tous les deux ans. Je me suis passionné pour le Patutiki ènana, l’art du tatouage traditionnel marquisien, son histoire, ses motifs, allant jusqu’à me faire tatouer une partie du corps. Je suis retourné plusieurs fois à Nuku Hiva et Ua Pou pour simplement regarder, apprendre, randonner, écouter, parler, rencontrer. L’histoire du roman est ensuite venue toute seule puisque j’écrivais désormais sur des choses qui m’étaient devenues familières.

 

Le récit est court, rapide mais avec une intensité inégalable. Était-ce une volonté de ne pas trop en dire sur le monde de 2175 ?

M. L. - Le 2175 du Projet Hakanā est un peu l’avenir à moyen terme que des décennies de politiques industrielles et écocides nous promettent, un avenir où le vivant sous toutes ses formes est nié, en raison des profits qu’une poignée de puissants peuvent en tirer aujourd’hui. Ce 2175-là, c’est celui que nous risquons d’avoir si nous ne changeons pas radicalement nos modes de vie, maintenant, en 2023. Voilà pourquoi je ne fais que l’évoquer dans le roman : ce 2175 fictif n’est pas inéluctable, on peut encore imaginer un monde où la vie tiendrait une place centrale.

 

Sans trop dévoiler l’intrigue, la notion de rébellion et de lutte face à l’injustice est portée par une adolescente et ses amis là où l’adulte semble égoïste et mu par de mauvaises décisions. Cela traduit votre foi en notre jeunesse, nos adultes de demain ?

M. L. - Créer, imaginer, rêver un monde où le vivant sera infiniment écouté et respecté, voilà le terrible et merveilleux enjeu auquel la jeunesse est confrontée. Les générations qui l’ont précédée ont cru que le vivant était illimité et qu’il était là pour qu’on en jouisse sans entraves puis, plus récemment, certaines voix dissidentes ont tiré la sonnette d’alarme et démontré qu’il n’en était rien, que nous tous, sur terre, animaux et végétaux, étions interconnectés. Les jeunes générations doivent maintenant agir, faute de quoi tout cela disparaîtra. Le Projet Hakanā leur dit cela : reprenez la vie en main, respectez-là et imaginez un avenir différent.

 

À la rencontre de Rim et d'un groupe d'adolescents au cœur des îles Marquises : quel voyage ! Chaque chapitre alterne deux points de vue : celui de Rim en 1592 puis celui de ses amis, soumis à un interrogatoire, en 2175. Le va-et-vient entre ces deux époques ajoute une dimension épique à la course poursuite de nos héros, déjà sous haute tension. Marin Ledun nous tient en haleine tout au long de son roman, notamment par le lien que le lecteur noue avec les personnages. Le défi est relevé : le lecteur ne se doute pas de la fin du récit ni de l’implacable morale qui en découle ! Vous prendrez quelques minutes, voire plus, pour repenser à votre lecture… et à votre futur.