Littérature étrangère

Anne Enright

La Valse oubliée

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photo libraire

Chronique de Nadège Badina

Librairie Le Square (Grenoble)

« Je ne vais pas retracer notre déclin. Si vous voulez mon avis, il n’y a rien de plus sordide que les détails. » Quoique… Chez Anne Enright, si la valse a toujours trois temps, son rythme est détonant. Surprises garanties !

Gina revient d’un voyage en Australie en compagnie de son mari, Conor. Elle est heureuse, elle y a appris à « faire l’amour sans avoir picolé, un truc tout simple, mais super. » Gina a la trentaine, elle est amoureuse. Mais alors qu’elle est invitée pour une crémaillère, elle croise le regard de Sean Peter Vallely, « formé pour être odieux par les pères du saint esprit. » Un homme qui sait se maîtriser, qui retrouve sa famille quand il le faut, un homme qui lui fait tourner la tête, jusqu’à l’étourdissement…. Dans La Valse oubliée, Anne Enright prouve une fois de plus que rigueur artistique se conjugue magnifiquement avec franc-parler. Dans un décor peuplé de personnages rocambolesques, elle dresse le portrait enivrant et enivré de Gina. Étouffée entre une mère immortelle – la dernière fumeuse d’Irlande ! –, une sœur si parfaite et follement belle, un neveu happé par les jeux vidéo et une nièce tellement saine, un mari tellement gros et réel… Gina sature. Elle est une femme multiple et complexe, qui cherche vainement à se raccrocher à la réalité ; elle se sent en permanence jugée par son entourage comme une sorte d’anomalie irresponsable et immature. Pourtant, elle persiste dans la voie qu’elle s’est choisi. Libre. Disséquant tous les jeux de l’adultère, du désir défendu à la guerre de l’amour, en passant par l’appétit dévorant, l’assentiment, la joie, et surtout le fou rire, Anne Enright se livre à une immersion dans la psyché féminine pour mieux en faire jaillir les traumatismes enfouis. Car, sous couvert d’un humour ravageur, l’auteur dévoile surtout la nostalgie, la mélancolie et les secrets inimaginables qui hantent ses personnages. Les mystères que l’on voit planer dès les premières pages, ne trouvent leur résolution qu’à la fin, le roman gagnant en suspense au fur et à mesure qu’il progresse…Avec La Valse oubliée, Anne Enright met en scène le passé difficile de l’Irlande, les relations familiales, l’amour et le sexe. Grandiose !