Littérature française

Grégoire Delacourt

La Première Chose qu’on regarde

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photo libraire

Chronique de Manon Godeau

Librairie Gargan'Mots (Betton)

Un succès est souvent critiqué. Comme la beauté incandescente d’un des nouveaux personnages de La Première Chose qu’on regarde, il suscite la convoitise et transforme l’envie en petites haines. Certains n’y verront qu’illusions, clichés et stéréotypes ; d’autres, touchés, retrouveront une part d’eux-mêmes, rêvée ou brisée.

C’est l’histoire d’un premier livre, L’Écrivain de la famille, qui remporta cinq prix littéraires et capta l’attention de 20 000 lecteurs peu après sa sortie. Puis d’un second, La Liste de mes envies, dont les droits furent vendus, avant même sa parution en France, dans plusieurs pays – dix-huit traductions aujourd’hui. Sa sortie en Livre de Poche, après déjà plus de 200 000 exemplaires vendus, aura lieu le 29 mai prochain. Quant à la troisième histoire, c’est celle qui commence comme un conte de fées des temps modernes : Arthur habite une petite maison à Long, commune de 647 habitants où il est né et a vécu. Il a 20 ans et travaille pour PP, au garage du coin, lorsqu’un 15 septembre quelqu’un frappe à sa porte. La femme qu’il découvre sur son seuil n’est autre que Scarlett Johansson, actrice sacrée plus belle femme du monde. Ce qui en dit long sur le pouvoir que peut avoir son corps sur ses pairs masculins, mais également féminins. Arthur, qui lui-même est un enfant déconcerté par la vie, adulte responsable et être généreux, va découvrir cette femme magnifique bien au-delà de son enveloppe corporelle presque parfaite, bien au-delà du mensonge des apparences. Ils vont se raconter : la perte des êtres chers, une petite sœur dévorée par un chien, une mère mortifiée par le chagrin, le fantôme du père qui les abandonne un beau matin pour ne plus jamais revenir, l’alcool, le renoncement, la folie, les yeux inquisiteurs, ces yeux devenus aveugles à l’enfance et à tout amour émanant d’elle. Ils deviennent des êtres aimants, aimés, passionnés. Je ne vous mentirai pas : La Première Chose qu’on regarde ne nous épargne pas. Le rythme s’accélère, les battements de notre cœur aussi, synchrones avec ceux des personnages. Des prédictions funèbres et tranchantes sont lancées. On ne veut pas y croire. Un lent et difficile apprentissage, une rencontre qui nous élève si haut que cela en devient vertigineux. Éternel aussi. Et le fracassement, puis l’éclatement. Tous ces petits morceaux de nous-mêmes dispersés qui vont, soit dans un tourbillon morbide, soit dans un élan salvateur, reconstituer tant bien que mal ce que nous sommes pour être à nouveau. « On devrait être vu comme on se voit : dans la bienveillance de notre estime de soi. » Les héros des trois romans de Grégoire Delacourt évoluent tous dans un univers familial complexifié par les drames ou les blessures que leur a imposées la vie. C’est une écriture faite de mots qui vont droit au cœur, qui peuvent raviver ou apaiser des plaies restées ouvertes ou mal cicatrisées. Ce qui est intéressant, c’est que l’auteur nous emmène là où on ne s’y attend pas, touchés par des personnages qui sont tous un peu des miroirs de nous-mêmes. L’éclat lumineux, souvent drôle, de la langue qui traduit les sentiments et les pensées d’Édouard, Jo(s), Arthur, Jeanine, et bien d’autres… fait naître chez le lecteur une émotion sensible, honnête et sincère. Faut-il y résister ?