Littérature étrangère

Elizabeth Strout

Je m’appelle Lucy Barton

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photo libraire

Chronique de Marion Hanriot

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Peut-on savoir qui l’on est quand la vie vous a malmené dès l’enfance et que la seule solution a été de fuir ? On accompagne avec empathie et émotion l’histoire d’une jeune femme qui reprend possession de son histoire et peut donc commencer sa vraie vie.

Au moment où le livre commence, l’héroïne et narratrice Lucy Barton doit être au mitan de sa vie. C’est une écrivaine reconnue et elle partage son quotidien avec son deuxième mari violoncelliste. Mais elle a eu une autre vie, elle s’est d’abord appelée Lucy-Barton-bordel-de-merde. Plusieurs années auparavant, elle a été hospitalisée pour une appendicite, est restée neuf semaines à l’hôpital pour des suites infectieuses qui ne seront jamais vraiment élucidées. Maladie somatique ? Au cours de ces neuf semaines, sa mère, qu’elle n’a pas revue depuis des années, vient passer cinq jours et cinq nuits à son chevet. Le roman est une alternance de ces conversations entre mère et fille, et les scènes de souvenirs de son enfance. Une enfance pauvre, malheureuse, dans la crasse et la violence sourde, dans une petite ville de l’Illinois, où un vieux garage faisait office de maison, où le manque de nourriture, de moyens, d’affection rythmait le quotidien. La mère frappe parfois sans raison, le père, traumatisé par la guerre, est peut-être incestueux. Lucy Barton est celle qui a réussi à s’extraire de ce milieu originel. Sauvée par la lecture, elle a quitté cette famille, fait des études supérieures, s’est mariée, a eu deux filles et habite New York. Elle n’est pas celle qui a trahi, mais celle qui s’est élevée. Rien ne sera jamais abordé frontalement dans ces discussions entre mère et fille, on frôle parfois les secrets, mais il n’y aura pas de règlement de comptes frontal, juste un moment partagé d’attention, d’échanges qui fera office de premier pansement. « C’est le son de la voix de ma mère dont j’avais besoin : ce qu’elle disait n’avait pas d’importance. »