Essais

Aude Vidal

Dévorer le monde

AT

✒ Adélaïde Touron

(Librairie des Halles, Niort)

Les Barcelonais manifestent leur ras-le-bol contre les touristes trop nombreux. Venise instaure une entrée payante pour les séjours d’une journée. La Grèce sonne l’alerte contre le surtourisme. Le ton est donné, il est aujourd’hui plus que nécessaire de repenser le tourisme et notre manière de voyager.

Après les frustrations causées par les restrictions instaurées durant la pandémie, une véritable frénésie du voyage s’est emparée du monde. Ce phénomène, on l’a nommé revenge travel, voyage de vengeance. Alors que cet épisode offrait l’opportunité d’une prise de conscience aussi bien sociale qu’écologique, ce sont finalement le besoin d’ailleurs et l’urgence de voyager avant qu’il ne soit trop tard qui l’emportent. Mais peut-on voyager, aujourd’hui comme nous l’avons toujours fait ? S’il semble y avoir un besoin exponentiel de voyager afin de découvrir le monde, de sortir de sa zone de confort ou tout simplement de se déconnecter du quotidien routinier, soit autant de raisons légitimes, Aude Vidal s’interroge néanmoins sur cet individualisme qui peut causer de lourds dégâts sur les destinations visitées, qu’ils soient sociaux, économiques ou environnementaux, et sur la volonté d’aller toujours plus loin, à la recherche d’exotisme et de dépaysement. De la délocalisation forcée d’autochtones aux voyageurs profitant de la générosité des locaux, l’autrice met en lumière les rapports de domination qui s’exercent, ainsi que les inégalités qui demeurent, voire se creusent. Elle questionne des pratiques de voyage qui se développent comme le dark tourism (tourisme de désolation) qui consiste à visiter des lieux marqués par des traumatismes ou encore les begpackers, des voyageurs qui se transforment en mendiants pour financer leur périple. Elle pointe aussi du doigt les ambivalences de l’écotourisme et des voyages solidaires. Source de revenus non négligeable pour les pays d’accueil, le tourisme transforme également les paysages et les villes, renforçant parfois la difficulté des habitants à se loger et à se déplacer tandis que des maisons secondaires restent vides une partie de l’année. Face à cet accroissement des inégalités, Aude Vidal appelle à la responsabilité individuelle et collective, et à penser des manières de voyager alternatives qui viendraient rassasier nos désirs d’escapades tout en respectant les locaux et, surtout, en ne participant pas à la dégradation de l’environnement. Grâce à ses bagages remplis de son expérience et de ses rencontres, elle propose une réflexion percutante, sans culpabilisation, sur l’urgence d’ouvrir les yeux sur nos pratiques touristiques, sur ce que nous recherchons dans le voyage et sur les conséquences de notre besoin d’ailleurs. Et que vous soyez touristes, baroudeurs ou casaniers, cet essai se dévore et se savoure.

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