Jeunesse

Yves Grevet

Celle qui sentait venir l’orage

illustration
photo libraire

Chronique de Julien Salazar

Pigiste ()

Frida, orpheline depuis la pendaison de ses parents pour un crime qu’ils n’ont pas commis, est prête à tout pour les réhabiliter. Elle doit avant tout fuir son village pour Bologne où elle sera hébergée par un médecin qui semble l’avoir prise en pitié. L’eugénisme, à l’origine des idées les plus terrifiantes du XXe siècle, est au cœur du nouveau roman d’Yves Grevet. Un texte génial, porté par une intrigue forte au réalisme effrayant. Un énorme coup de cœur !

 

Page — Vous nous avez habitués à des dystopies, telles que Nox et Méto (Syros), pourquoi avoir choisi cette fois de situer votre roman dans une réalité historique ?
Yves Grevet — J’aime les récits historiques depuis toujours et j’utilise beaucoup l’Histoire dans mes romans. Méto est une uchronie, une réécriture de l’Histoire avec comme point de divergence la guerre de Corée. On y trouve beaucoup d’allusions à cette période ainsi qu’aux années 1920 et 1930 avec l’embrigadement de la jeunesse dans les régimes dictatoriaux. Dans Nox, c’est l’imagerie du XIXe siècle industriel que je convoque avec les populations des taudis, le smog, les combats de rats et de chiens. Dans mes précédents romans, je faisais donc de l’Histoire, mais d’une manière libre, sans souci d’exactitude. Pour ce projet c’est différent. Lorsque j’ai découvert ces théories scientifiques nées à la fin du XIXe siècle qui prétendaient qu’on pouvait reconnaître un criminel aux traits de son visage, je me suis dit que je tenais là un contexte historique propice au développement d’un récit riche en péripéties et en émotions. Je me devais d’être rigoureux quant à l’évocation de l’époque.

P. — Avez-vous le sentiment d’avoir écrit un roman historique ?
Y. G. — C’en est un dans la mesure où il se situe dans un contexte précis, en Italie vers 1890, autour du développement d’une science qu’on appellera plus tard la criminologie. Je me suis beaucoup documenté sur l’époque en lisant des journaux de cette période et en étudiant les livres des théoriciens qui soutenaient ces thèses. Mais j’ai voulu que mon roman ne soit pas alourdi par trop de descriptions ou de rappels historiques. Je désirais avant tout rester centré sur le destin particulier de ma narratrice, être avec elle, faire partager ses angoisses, ses luttes, ses victoires.

P. — Justement, pourriez-vous nous en dire plus sur Frida, votre héroïne ?
Y. G. — Frida s’est toujours sentie exclue. Elle a vécu son enfance dans une maison isolée au milieu des marécages. Elle n’a vraiment connu le monde que lorsqu’elle est entrée au pensionnat chez les Religieuses. Là, dès que ses origines ont été connues, elle a été mise à l’écart. Au début du roman, Frida a 16 ans. Elle s’est déjà forgée une carapace et se méfie de tout le monde. C’est ce qui lui permettra de survivre. Elle devra affronter des ennemis puissants qui ont juré sa perte. Pour cela, elle cachera sa vraie nature, n’hésitant pas à se travestir. Elle va également courir tous les risques pour laver l’honneur de ses parents injustement accusés. Heureusement, au fil de l’histoire, elle trouvera des alliés et s’ouvrira aux autres et au monde.

P. — Vos romans cachent souvent des réflexions sur la société actuelle. En quoi ces théories qui visent à sélectionner des humains nous parlent-elles aujourd’hui ?
Y. G. — Même si en 2015 on ne les justifie plus par des arguments scientifiques, des populations sont encore discriminées à cause de leur milieu, de leur origine ou de leur physique.